DU STYLE, DE L’IMAGE, DE LA MODE : DE MATTHÄUS SCHWARTZ, THE FIRST FASHION BOOK À EUPHORIA, EUPHORIA FASHION (2019), UNE MÉCANIQUE DES STYLES
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DU STYLE, DE L’IMAGE, DE LA MODE : DE MATTHÄUS SCHWARTZ, THE FIRST FASHION BOOK À EUPHORIA, EUPHORIA FASHION (2019), UNE MÉCANIQUE DES STYLES
DESSINER LA MODE
LA MODE - LOIS, LOGIQUES & FICTIONS DU PARAÎTRE
Sous la co-direction de Mathieu Buard, Colette Depeyre, Céline Mallet
Cerisy, du 3 au 8 juin 2024
Après avoir parcouru les chemins d’une indiscipline de la mode en tant que territoire théorique et pratique, en 2021, nous proposons de regarder la mode sous l’angle du paraître pour ce second colloque. Lois, logiques et fictions du paraître donc, comme le désir d’étudier les régimes différenciés de nos apparitions, avec cette même pluridisciplinarité de voix que nous souhaiterions réunir pour ce nouveau volet à Cerisy, en 2024.
Qu’elles régissent les couleurs de la livrée des gens de la Maison du Roi ou qu’elles interdisent aux classes bourgeoises le port d’une étoffe précise, les lois somptuaires édictées par le pouvoir au cours de son histoire auront codifié les apparences, manifesté les hiérarchies et le faste, rappelant les fonctions primordiales de représentation du vêtement et des ennoblissements textiles.
Prises dans une acception large ou imagée, les lois somptuaires sont également régulièrement subverties. Que ce soit le phénomène glam, punk ou fluo, des communautés se dessinent depuis ces logiques d’élection. Les lois deviennent des codes qu’un groupe socio-culturel peut promulguer par lui-même, soucieux de construire pour et contre les autres un ensemble de signes d’identité, d’aura ou de puissance. Ainsi va la vie de cour, ainsi vont les cercles de sociétés plus ou moins confidentiels de la contre-culture, lorsque l’emplacement d’une mouche de velours ou le port d’un pantalon plus large qu’il ne le faudrait entrent en écho.
Il y aurait donc des logiques du paraitre, quand une silhouette s’invente à la croisée de la manifestation de soi et des parades sociales, quand cette même silhouette s’offre comme un écheveau complexe de choix et de renoncements, d’arrangements sinon de conflits ouverts avec l’époque.
Il y aurait enfin les fictions, les rôles que l’on projette, les personnages que l’on invente, dans la vie comme sur scène, en images. L’art du vêtement s’y affirme comme le support de narrations, le véhicule de métamorphoses, le motif d'un spectacle, la présence d’un costume. La mode donc, mais aussi tous les vêtements accumulés et collectionnés au-delà du programme et des cadences de production de cette industrie, peuvent alors transiter vers d’autres territoires, géographiques, créatifs, culturels, industriels, techniques… Pour creuser d’autres temporalités, anticiper d’autres perspectives, élaborant un regard second sur l’histoire et le contemporain.
PRGRAMME : https ://cerisy-colloques.fr/mode2024/
ARCHIVES DE MODE. Substance et Évanescence
Conférences et tables-rondes
Ouverts à toutes et tous
Auditorium de l’INHA (Institut national d’histoire de l’art)
30 novembre 9 h-17 h 00
1er décembre 9 h 00-12 h 00
30 NOVEMBRE
•Images sédimentées (Émilie Hammen / Manuel Charpy)
-Emmanuelle FRUCTUS, artiste, iconographe et collectionneuse de photographies anonymes
-Caroline BERTON, directrice du Pôle Image chez Condé Nast
-Marine KISIEL, conservatrice en charge du département XIXe siècle au Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
-Antoine BUCHER, fondateur de Diktats
•Vêtements pour archives (Anne-Cécile Sonntag / Céline Mallet)
-Marie Charlotte CALAFAT, conservatrice et responsable du département des collections et des ressources documentaires du MUCEM
-Jeanne-Léopoldine CLAUSTRE, documentaliste et doctorante en esthétique
-Olivier COLOMBART, assistant de conservation préventive chez Christian Dior Couture
-Emmanuelle GARCIN, restauratrice textile (MAD) et chargée de cours à l'École du Louvre
-Olivier CHATENET, collectionneur, conseil et commissaire d’exposition
1er DÉCEMBRE
•Archives, matière active (Mathieu Buard / Patrice Verdière)
-Alice GAVIN, directrice artistique et artiste associée au Ballet national de Marseille
-Sébastien LIFSHITZ, réalisateur et commissaire d’exposition et collectionneur de photographies
-Pierre-Yves GAYRAUD, chef costumier cinéma
-Gaspart de MASSE, responsable des archives Balenciaga
InVisu (CNRS-INHA), École Duperré, HiCSA (Université Paris I-Panthéon Sorbonne), INHA
Coordination : Céline Mallet, Mathieu Buard, Anne-Cecile Sonntag, Pierre Giner, Émilie Hammen, Camille Hanen, Manuel Charpy.
Ici, il ne s’agira pas d’aborder le choix d’un bon motif, comme il en a été question déjà à la bibliothèque Forney lors d’une exposition et d’un catalogue édités il y a quelques années, mais de regarder la manière dont l’écriture textile se déploie et engage l’apparition de l’image depuis la technique, sur et dans la surface. Depuis les savoir-faire telle que la tapisserie ou depuis la mode avec la technique de la sublimation, en cherchant, en créant, nous aborderons la dimension prospective de l’identité textile et de ce que peut l’image appliquée pour la mode et les arts de vivre. Si l’on pose le trompe l’œil textile comme un point d’entrée, mais plus globalement la figuration sur l’étoffe d’un dessin ou d’une tache, quels qu’en seraient la nature du tissu ou du sujet représenté, cette image appliquée pose des questions de résolutions, de netteté, de traduction qu’il nous semble intéressant d’explorer ensemble.
Fil de la conférence,
A. Figuration, un réalisme photographique ?
B. Un jeu d’impressions par sublimation
C. Tapisserie_HIFI & transduction_Haute fidélité ?
D. HIFI renversée_Transcrire l’imagerie numérique dans la tapisserie - une lumière d’écran ?
E. Enchâssements_ Des modéles de réalité comme des médiums en mouvements.
Anne-Lause Sacriste_Le Monde sans les mots_
Visite à deux voix
ART.S DE VIVRE
Fil de la discussion,
A Projets d’exceptions, commandes & savoir-faire. Du singulier au particulier, une écriture en variation.
B Matières, matériaux, métiers. Le faire décoration par les gestes qualifiés sur une matière choisie. La matière aux défis.
C Échelle, assemblage et total look, l’ensemblier comme virtuose des savoir-faire.
Fil de la discussion,
A L’objet scénographique et les savoir-faire.
B De l’objet fini au processus, la scénographie comme démonstrateur et mise en lumière des savoir-faire eux mêmes.
C Archive vivante et Patrimoine vivant - Penser et transmettre le savoir-faire, une logique de création et de recherche.
LA MODE COMME INDISCIPLINE
Territoires d'expressions et de recherches
Sous la co-direction de Mathieu Buard, Céline Mallet, Aurélie Mosse
Cerisy 2021
Introduction générale aux actes du colloque.
La mode n’avait jamais été abordée à Cerisy[1]. Le faire en 2021 pour la première fois signifiait qu’il fallait d’abord exprimer la complexité de ce domaine tant du point de vue des pratiques que des réflexions théoriques se déployant à partir d’elles. La mode a une histoire, qui rejoint celle du vêtement et du costume. La mode recoupe la sociologie, depuis sa dimension intime et sociale. La mode en tant qu’art appliqué exalte la question du style, désignant une vaste famille d’objets, de gestes, de processus et de manières sensibles. La mode est une réalité industrielle à l’échelle mondiale, un marché foisonnant, le lieu de démarches extrêmement diverses et qui ne sont pas sans générer des conflits. La mode inspire la littérature, la philosophie ou l’architecture, suscite les commentaires et les critiques depuis une longue tradition de presse. Elle exacerbe les camps et génère encore les réticences, quand il lui faut se poser comme une discipline scientifique. Puis, la recherche en mode, – c’est à dire aussi bien la recherche sur, que par et pour la mode -, ne s’élabore pas seulement depuis l’analyse concertée, elle se pense depuis la pratique elle-même dès lors que cette dernière assume une dimension prospective, comme dans bien d’autres champs du design. Chercher en mode, c’est donc faire feu de tout bois, embrasser l’ensemble des cultures qui façonnent ce phénomène, cet objet indiscipliné. C’est alors emprunter à d’autres sciences, notamment l’anthropologie, la biologie, l’économie, pour tracer d’autres chemins, c’est transgresser les frontières des disciplines instituées. C’est inventer, en mouvement, un faire et une pensée nécessairement indisciplinés.
Revenons aux origines du colloque intitulé “La Mode comme Indiscipline” et dont l’ouvrage ci-présent est une restitution augmentée. Un premier comité s’est constitué en 2017, avec le soutien de l’inspectrice générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche Brigitte Flamand, porté par la volonté de “ réunir une communauté scientifique, à la jonction entre les sciences dures et les sciences humaines et sociales, proposant un volet conceptuel et épistémologique en lien avec un volet expérimental, autour de quatre entités (…) d’enseignement supérieur*[2]”. L'École Duperré, l’École des Arts Décoratifs, l’Institut Français de la Mode et l’Université Lumière Lyon 2 initient alors une première réflexion sur ce que pourrait être un colloque sur la mode et le vêtement, sur l’histoire d’une discipline. Très vite apparaît la nécessité de définir les bords d’un sujet fluctuant, indocile à l’étude, mais qui ne saurait se cantonner à la seule lecture hagiographique des héros et des maisons de mode.
Puis la constitution du comité évolue, et en 2020 le programme initial est repris sous l’impulsion de l’École Duperré et de l’École des Arts Décoratifs, auxquelles se joint bientôt l’Université Paris Dauphine-PSL. Plusieurs désirs soutiennent dès lors ce projet. Et d’abord celui de prendre acte de la mode dans son champ élargi, pour assumer les postures de recherche actuelles et les forces vives présentes tant chez les professionnels des métiers de la mode que du côté des acteurs élaborant l'observatoire scientifique de ces pratiques. Il s’agira, alors, de croiser les terrains de recherche, et de faire état de postures conceptuelles et de processus de conception prospectifs, émergents sinon nouveaux.
Résiste depuis cette richesse protéiforme une fondamentale indiscipline de la mode, que nous élisons comme horizon. Le colloque arrête son titre sous le nom de “La mode comme indiscipline” et nuance cette assertion provocatrice en posant des territoires d’expressions et de recherches, manière d’indiquer la diversité et la mobilité consubstantielles à ce domaine.
Le colloque intitulé « La mode comme Indiscipline : territoires d’expressions et de recherches » a ainsi rassemblé au château de Cerisy un ensemble de personnalités aux parcours et aux expertises multiples, dont le présent livre se fait l’écho complet. En conférence, sous les formes des arts vivants, dans les jardins, sous les voûtes, au son des cloches rythmant les journées et leurs rendez-vous, et de bonds en rebonds, d’échanges en discussions… Se seront rencontrés historiens, philosophes, collectionneurs, directeurs artistiques ou designers, artistes, performers mais aussi doctorants et étudiants présents à ces échanges. Tous ont éclairé depuis leurs préoccupations et leurs expériences ce phénomène transmedia, transdisciplinaire qu’est la mode. Et ce en quatre temps, à l’échelle des quelques jours du colloque, quatre temps différenciés que nous avions, depuis la co-direction, proposés. Le livre ci-présent édite un réagencement des différentes interventions, et propose de dépasser l’archive au profit d’un éclairage supplémentaire.
Si la mode est donc un champ d’expression et de recherche aux milles facettes, ce livre est organisé en quatre chapitres, aux contours inévitablement arbitraires mais permettant d'aborder quatre façons de faire mode. Dans un premier temps, il s’agit avec “Mode, Style, Poncif” d’approcher cette dernière comme un phénomène culturel, une expérience esthétique et collective à travers le prisme de l’histoire, de la philosophie, de l’anthropologie aussi bien que de la performance artistique. Un deuxième temps intitulé “Conservation et Création” s’attache davantage à la réception et à la conservation de l’objet de mode du point de vue des histoires de l’art comme du collectionneur averti mais encore déployé par un vêtement performé ou théâtralisé. Dans un troisième temps, “L’industrie et le mal” nous invite à explorer l’industrie de la mode, son organisation, ses responsabilités en convoquant les voix de la communication et du marketing, de la direction artistique autant que des sciences de gestion ou du management de l’innovation. Enfin, dans un dernier temps intitulé “Eco-conception, procédés ingénieux et industrieux”, la recherche par la pratique du design et de l'ingénierie nous invite à explorer les processus actuels de création du vêtement et de la mode à l'aune d'une nécessaire reconsidération de ses pratiques par le prisme de l’écologie, de la compréhension des cycles de vie et des dynamiques de résilience.
Nous souhaitons que cet ouvrage puisse être un objet de dialogue et de partage interdisciplinaire, qu’il ouvre à d’autres réflexions et active concrètement d’autres grilles de lecture, pour cette industrie créative et réactive qu’est aussi la Mode. Nous souhaitons tracer non pas une histoire mais des histoires de modes ; il ne s’agit pas de penser un système clos, mais les entre-systèmes de cette discipline.
Nous redisons toute notre gratitude aux intervenants de ce colloque.
Nous remercions Le Centre culturel international de Cerisy (CCIC) qui organise les Colloques de Cerisy ; Edith Heurgon, Armand Hatchuel et l’ensemble de l’équipe pour leur disponibilité et leur accueil. Nous remercions Brigitte Flamand, IGÉSR, pour son accompagnement au démarrage de cette aventure et pour sa présence lors de la tenue de ce premier colloque. Nous remercions nos institutions respectives, nos directeurs Alain Soreil pour l’École Duperré et Emmanuel Tibloux pour l’École des Arts Décoratifs de Paris ainsi que l’Université PSL (Paris Sciences & Lettres). Nous remercions Cédric Denis-Rémis, directeur de l'Institut des Hautes Etudes pour l'Innovation et l'Entrepreneuriat, Mines Paris – PSL, pour le soutien financier apporté à l’ouvrage. Nous remercions chaleureusement Victoire Disderot et Étienne Périn pour la coordination logistique depuis nos écoles, Elsa Carnielli pour le suivi éditorial, ainsi que nos étudiants Clara Ziegler, Lucien Lhéritier et Émilien Lassance pour leur présence aussi joyeuse qu’investie, jeune équipe technique qui aura participé à la fluidité de la tenue de nos journées. Nous remercions les éditeurs de cet ouvrage B42 Alexandre Dimos et Julie Lamotte pour la belle édition que constitue cet ouvrage. Enfin nous remercions tous les acteurs qui ont de près ou de loin contribué à réaliser ce premier volet des colloques de Cerisy sur la mode.
Mathieu Buard, Céline Mallet, Aurélie Mosse.
Octobre 2023.
[1] Rappelons ici que Cerisy, depuis le milieu du XXème siècle, est un haut lieu de la pensée intellectuelle française et internationale. Ici nous pouvons citer des penseurs, toutes disciplines confondues, tels que Gilles Deleuze, Umberto Eco, Raymond Aron, Helene Cixous, Annie Ernaux, Jacques Aumont, Jacques Le goff, Claude Simon, Vinciane Despret … qui ont développé sur et avec leurs pratiques respectives de grandes perspectives et discussions lors de ces colloques - http ://www.ccic-cerisy.asso.fr/colloques3.html
[2] Damien Delille, Université Lumière Lyon 2.
La collection Carrés d’Aubusson a l’ambition de produire en tapisserie d’Aubusson, une série d’œuvres contemporaines d’une surface approchant les 3,5 m2. Chaque objet produit, par sa valeur patrimoniale et tout autant contemporaine, fait figure d’œuvre tableau, carré, écran, fenêtre picturale à échelle domestique.
La pertinence d’un format plus petit de tapisserie tient à la valeur de proximité et quotidienne que ces œuvres produites pourraient prendre dans l’intérieur du collectionneur / propriétaire et de la mobilité inhérente à la taille de cette œuvre au sein de l’habitat. En des termes plus concis, une œuvre de taille raisonnable est plus facile à intégrer dans un intérieur domestique, ce qui fait rediscuter la monumentalité attachée à la tapisserie patrimoniale.
Cette possible valeur décorative renoue avec l’usage de la tapisserie. En proposant une sélection d’artistes contemporains, dont la traduction du langage plastique interroge avec pertinence l’écriture du point de tapisserie, du textile en général et des qualités intrinsèques d’une image, on crée autour de cette spécificité une collection emblématique, une série domestique de tapisseries d’Aubusson.
La collection Carrés d’Aubusson concerne des tapisseries de petites dimensions (1,84m x 1,84m) destinées à l’intérieur intime et produites en lien étroit avec des galeries d’art contemporain.
Mathieu Buard en assure la direction artistique. Les artistes sélectionnés ont vocation à proposer des œuvres pleinement pensées « tapisserie » (points, matières, couleurs) et renouvelant la place de ce médium sur le marché de l’art.
Cette collection a pour vocation d’être en lien avec les galeries d’art internationales, et d’être au centre des actions menées dans l’objectif de repositionner la tapisserie d’Aubusson auprès des acteurs du marché de l’art.
La collection est soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller, dans le cadre de l’attribution du Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main® – Parcours 2018 à la Cité internationale de la tapisserie et son Directeur.
Le fonds contemporain de la Cité de la tapisserie d’Aubusson accueille désormais une collection spécifique, les Carrés d’Aubusson, qui invite des artistes contemporains reconnus à développer une tapisserie de format carré relative aux échelles domestiques d’un mètre quatre-vingt quatre de côté, soit d’environ 3,40 mètre carré. Le fonds contemporain prolonge et redéploye par cette collection de Carrés et les écritures textiles actualisées qu’ils portent tous, les savoir-faire du point d’Aubusson reconnu comme patrimoine immatériel universel de l’UNESCO.
Le propos de la collection interroge de frontalement la tapisserie, ses représentations comme ses techniques. Il s’agit de proposer une vision actuelle de la tapisserie, à l’instar de la céramique, comme segment vivant de l’art contemporain ; œuvre à part entière pour les artistes autant que médium de création depuis ce patrimoine et savoir-faire. Il s’agit aussi de développer une vision prise dans le champ élargi et actuel d’une intégration pleine et complète des arts décoratifs, c’est-à-dire jouxtant les porosités d’une pratique qui étend son langage plastique à une pluralité de formes et formats, de médium en médium, dans une multitude de manière de se représenter ; enfin de montrer la matière textile comme le potentiel puissant d’un dépassement des savoir-faire vers un devenir art.
La relation de l’œuvre tissée par l’artisan et de l’artiste qui produit le carton ou disons l’image source, est l’un des particularismes de la tapisserie, et cela pose des questions très actuelles de la signature comme de l’affirmation d’une réalisation, ou collaboration étroite, co-édition intime même entre une écriture artistique et une identité textile ; l’objet premier de cette collection de Carrés d’Aubusson tient de cet échange et de cette recherche d’une surface tissée prospective et cohérente avec les modalités de représentations ou figurations que suppose une traduction sinon une transcription d’une modèle de réalité à un autre. L’ambition se situe dans le recherche par le fil, la matière, le tissage, mais aussi dans l’œuvre choisie de trouver les territoires limites, les interstices et les bords qui permettent de faire de la tapisserie un laboratoire et un lieu d’expression contemporain.
La tapisserie porte des enjeux très immédiats de codification, de transit d’un médium dans un autre et de la poursuite d’une figuralité, re-présentation dont l’écart de matérialité est constitutif, assumé même. Il s’agit de trouver la justesse dans la matière textile d’une équivalence ou d’une correspondance quasi analogique à l’œuvre de départ, dite source.
La somme des quatre premiers Carrés interrogent cette identité textile trouvée pour chacune des œuvres interprétées. Mais, à la différence du carton traditionnel qui prépare la transcription ou passage de l’œuvre source à l’œuvre tissée, les quatre œuvres des artistes invités proposent une interprétation plus complexe, où le carton n’est pas le guide stable et définitif, mais une question textile adressée au lissier. Ainsi, chez Romain Bernini, l’œuvre source est déjà une surface textile, avec un armure particulière, un jeu de taches colorées intranscriptibles in extenso, et un format qui suppose un agrandissement donc l’interprétation des détails et de leurs échelles. De la même manière, les plans picturaux aux écritures si différentes de l’œuvre de Raúl Illarramendi demandent des traductions et des identités textiles toutes renouvelées sinon contradictoires au regard des traces et gestes abstraits qu’il peint. L’enjeu de lumière, aussi, vient complexifier la simple traduction d’un état de texture en un point tissé. Encore, l’aspect changeant et atmosphérique de l’œuvre de Jean-Baptiste Bernadet dépasse de loin ce qu’un lissier a comme marge d’interprétation, ici totalement libre, de trouver avec un nombre de couleurs de fils très limité, une surface atmosphérique et changeante. Enfin avec l’image numérique qu’Amélie Bertrand propose, et où la colorimétrie est un étalonnage digital de l’écran, un colorama dont le référentiel est l’écran : c’est-à-dire une image lumière « rétro éclairée ». Les gradians qui constituent les dégradés de l’image viennent augmenter la difficulté des passages analogiques avec les fils, les techniques de battage que la tapisserie suppose.
L’un des premiers enjeux de l’exposition est donc de présenter la vitalité de ces identités textiles, des inventions et trouvailles faites dans le champ de l’art tissé.
Un autre enjeu, complémentaire, est de montrer la transcription même, traduction ou interprétation de l’œuvre source dans et par le geste de l’artisan lissier.
Encore, il s’agit de montrer la labilité ou plasticité des écritures des quatre artistes invités, qui jouent et prennent le risque de voir leur esthétique singulière déplacée par cette traduction et de voir ainsi comme une langage artistique transite d’un médium à l’autre. Chaque Carré d’artiste est une possible ré-édition de 8 exemplaires, l’idée du multiple ou de la série, rejoint proprement le champ du marché et des éditions d’art, avec la particularité d’une grande variabilité des tissages, explicitement liée au fait main et à sa non reproductibilité technique.
Les quatre premiers Carrés textiles sont désormais tissés et n’appellent qu’à être présentés. Le projet de cette exposition de tapisseries vient donc s’inscrire dans l’actualité d’artistes contemporains et de leurs œuvres liées aux marchés et institutions artistiques qui les portent. Ainsi Raúl Illarramendi chez Karsten Greve, Jean-Baptiste Bernadet chez Almine Rech, Romain Bernini chez Suzanne Tarasiève, et Amélie Bertrand chez Sémiose, ont conçu une tapisserie en étroite collaboration avec les artisans établis dans la zone d’influence patrimoniale d’Aubusson. Chaque Carré d’artiste édité rentre de fait dans le répertoire d’œuvres de l’artiste
Aussi, dans un écho direct à la tradition des arts décoratifs et des salons d’ensembliers, il s’agit de montrer des espaces complets ou complétés de différentes œuvres des artistes où cohabiteront différents médiums : tapisserie, peinture, sculpture, céramique, objets ou éléments décoratifs qui inscrivent la tapisserie dans le champ de collections domestiques et intimes et qui pense ou déploie un art de vivre total.
Enfin, il est envisagé de présenter en même temps que l’œuvre tissée, des œuvres choisies des artistes qui accomplissent ce lien entre l’art contemporaine et les arts décoratifs.
Mathieu Buard.