ABÉCÉDAIRE MODES PRATIQUES V
LUTINERIES NOCTAMBULES, FOUTRERIES D’AUBES
Abécédaire co-écrit avec Céline Mallet.
Photographies : ©Marianne Maríc.
Outre-mondes, contre-mondes, night clubs ou fêtes sponsorisées de la mode.
Secrets d’alcôves, parures, chorégraphies et récits de l’intime.
A
Amant
Immobile devant la psyché, elle adora son âme nouvelle, cette robe de soie si mate et si blanche, puis fit des gestes pour admirer la chute des plis. O son aimé, ô à lui seul vouée ! Enthousiaste de lui plaire, elle se sourit dans la robe qui avait recouvert le beau corps de celle qui se décomposerait dans la terre. Ridicule de jeunesse devant la psyché, elle chanta une fois de plus l’air de la Cantate de la Pentecôte, chanta la venue d’un divin roi.
(.…)
Ensuite, après une nouvelle retouche à la mèche, suivie d’un ultime perfectionnement, elle alla et vint devant la psyché avec des coups d’œil furtifs pour s’y saisir en mouvement. La robe de la morte dessinait trop ses hanches, les fastueuses dont elle avait honte autrefois, dessinait trop, légère et de lilas odorante, la courbe arcade pubienne. Un peu gênant, trop révélée, trop exposée. Tant pis, il avait droit à tout.
Albert Cohen, Belle du seigneur, page 540 et 542, éditions Gallimard, 1968
Académique
En danse, l’académique est l’uniforme classique du geste virtuose, la seconde peau qui nappe la nudité malaisante et qui noue indéfectiblement la performance d’une écriture chorégraphique à l’attelage d’une troupe bien enrégimentée sinon totalement soumise à la hiérarchisation des grades et qualités. Un corps sans sexe - sur scène.
Étendu aux champs disciplinaires du corps vécu, l’académique serait l’élémentaire de toute pratique qui porte le corps à la scène comme à la nuit. Reste à le considérer retourné comme un gant, qui lorsqu’il signe le fétiche, slip “minimum” des îles, combinaison intégrale zentaï ou latex wetlook pour cat and dog consentants, sinon encore joggingxjockstrapxbaskets dans le fond d’une cave gay, ces académiques sont l’appanage d’un uniforme qui perfome un lieu et un contexte. Là, l’agent qu’est le vêtement ou l’accessoire autorise une mondanité d’un autre monde, une outrehiérarchie.
Prêt-à-porter Automne/Hiver 1989-1990, Vivienne Westwood avec la collection “Voyage à Cythère” propose une série de looks aux leggings et justaucorps dont la feuille vigne brodée placée sur l’entrejambe est le gyrophare d’une dénudité factice, d’une sexualité sans déguisement. Académiques et arlequinades libertines ne font qu’un dans cette partie de campagne à la Watteau.
B
Bal
Un vaste espace avait été aménagé pour photographier les célébrités dès leur arrivée, fixes, immobiles, posant sagement, avant même qu’elles ne fassent la fête puisque la fête n’avait pas commencé. Plus tard, des photographes sillonneraient les allées. Il n’y avait que top models, créateurs, annonceurs, présidents de grands groupes. Presque pas d’artistes en dehors du milieu de la mode, contrairement aux bals du temps jadis, celui de Poiret ou de Lagerfeld - où Loulou de la Falaise dansait sans doute ivre morte, à moitié nue, sniffait de la coke sur les tables, avant de s’effondrer, à l’aube, dans les bras de deux inconnus qu’elle embrasserait l’un après l’autre.
Nelly Kaprèlian, Le manteau de Greta Garbo, page 117, éditions Grasset et Fasquelle, 2014
Baise-en-ville
Depuis le début du vingtième siècle, le baisenville, ou baise-en-ville, appellation triviale et quelque peu ironique, désigne à l’origine une sacoche en cuir, puis un sac (de voyage) au volume restreint, susceptible d’accueillir le strict nécessaire pour tous les aventuriers et désormais, les aventurières d’un soir. On saura gré au chanteur français Alain Bashung, par ailleurs l’interprète d’une chanson célèbre intitulée La nuit je mens, d’avoir évoqué en quelques vers la dimension licencieuse voire illicite de cet accessoire au premier coup d’œil anodin, dans le single S.O.S. Amor en 1984 :
J'ai des faims de toi difficiles
Des jours ça veut pas rentrer
T'as fouillé mon baise-en-ville
Ça j'peux pas saquer
En voulant nettoyant mon fouet
Bêtement le coup est parti
Ton cri était presque parfait
Ton cri était presque parfait
Balls
Il y a les superbes bals, ceux où Greffulhe apparaît en étoile filante dans les robes grands soirs à la Worth, ceux que Paul Poiret et consor s’amusaient à créer, univers décoratifs d’ensemblier où la fantasmagorie était totale telle qu’il l’a décrite dans le chapitre XII mes fêtes d’En habillant l’époque…
Les balls dits dans la langue de Shakespeare, et les contresens que l’homophonie suppose, à la manière d’un cocktail qui enivre, ou d’une sirène qui berce avant la dévoration, ouvre à des horizons supplémentaires et des logiques du paraître bien à propos.
Met Ball annualisé et lieu distinctif de la pop culture impériale, panthéon red carpet des commandes spéciales de robes des maisons du luxe faites pour et par l’occasion. Ici la fantaisie et les débordements de chair sont pléthores et frisent le poncif. Nicki Minaj concourt allègrement au couronnement de l’élégance face à Lady Gaga, Rihanna ou Katy Perry, habillées par Balmain, Rabanne, Dior. La jambe dégagée, l'effeuillage était parfait. Dont’ touch my tralala.
Ballroom, où s’enchaînent les balls, est le lieu performatif qui accompagne la scène queer et dont le voguing est la danse mère. Ici la compétition n’est pas celle des industries culturelles et créatives des grands groupes mais l’ère fraternelle du genre flamboyant et dansant, outrageux et sexuel, pour de vrai.
Balls, c’est aussi le paquet masculin, glorieuse excroissance d’une braguette médiévale, enserré dans un slim à la Slimane, porté à gauche dans un pantalon de tailleur ou pendant dans un caleçon façon Hugo Boss. L’objet de l'œil, chez Bataille.
C
Con (& consort)
Dans son genre, émancipée, Vivienne Westwood, reine défunte des punks et des transgressions heureuses d’avant-l’heure, a nombre de fois pris son corps comme sujet et modèle de subversives présentations. De jour, lors de la cérémonie de son ascension d’officier devant Elizabeth II en 92. Sans culotte comme un effet boomerang littéral à nos chers révolutionnaires françois de 1789, elle montra son con dans une magnifique parade giratoire immortalisée par Martin Keene. De nuit, alanguie sur un divan, la croupe à l’air, non sans l'œil frisotant du plaisir de l’outrage, face caméra du complice Juergen Teller, en 2013 pour Dazed. Mais encore, avec son sulfureux car néanmoins beaucoup plus jeune mari Andreas Kronthaler - ce qu’il y a de chocking qu’une vieille dame s’éclate - et toujours sous l’œil réjoui de Teller, lui aussi tout nu sous les froufrous post “mini-crini” d’une robe de cette collection satinée AKVW UNISEX SS17 - l’oiseau de nuit à nu.
Culotte
J’ai glissé une main sous sa robe, senti l’anneau de son nombril au milieu de son ventre doux et bronzé. Ma main est descendue vers le bas de son abdomen et autour de ses hanches. L’incurvation en bas de sa colonne vertébrale, juste au-dessus du cul - j’ai caressé délicatement la déclivité, un petit massage très doux, des mouvements circulaires, et puis mes mains sont descendues à l’endroit où les fesses rejoignent les cuisses. Mes mains se sont déplacées vers le bord de sa culotte et le territoire inconnu au-dessous.
Bret Easton Ellis, Lunar Park, page 107, éditions Robert Laffont, 2005
Cordon
Vue de dos, elle semble tenir à peine _ “Une robe réussie, avait-il dit au journal Elle, doit donner l’impression qu’elle va tomber.”_ Le décolleté fendu jusqu’au bassin de 2 centimètres de trop_il sait jusqu’où aller trop loin ! Un fin cordon tendu en haut des omoplates ferme la robe par une minuscule agrafe.
Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven, page 106, éditions Gallimard, 2000
Cockring
L’objet a pour fonction d’accessoiriser et parer le pubis masculin en gardant le panache viril dans un flux sanguin le plus turgescent et érectile possible. L’anneau de queue, autrement traduit, placé à la racine du sexe et des testicules flatte comme il indique une pratique performative où forme et fonction se trouvent conjuguées à merveille. L’intensité induite par l’accessoire engage un terrain de jeu telle que dans l’arène du torero ou du gladiateur, la force de l’un joue de l’élasticité et la souplesse de l’autre, anal. Et vice versa.
Ndlr - Pour anecdote, oublié sur le comptoir du bar à culs par un habitué sans doute occupé à une autre chose, un ami trouve un soir tardif et à l’étage du MecZone où les conversations sont permises, l’objet circulaire entre deux bières. Il saisit l’anneau de son pouce et de son index, dans la grande tradition de la préhension anthropologique sapiens, et le porta à son œil, monocle inspiré et brillant. Ivresse d’une longue vue retrouvée, joie du télescope d’un soir.
D
Déshabillé
Elle avait l’art de mêler à sa chevelure crépue, aussi noire que celles de ses ancêtres de Salonique ou de Cordoue, des mantilles de dentelle, des filets, des voiles de soie qui lui dessinaient des parures à la fois provisoires et d’une sophistication extrême. Ses yeux énormes agrandis encore par des ombres à paupières pailletées brillaient comme ceux d’une idole de Félicien Rops. Sur ses épaules osseuses, où chaque angle des omoplates et des rotules se dessinait à la lumière des bougies, pendait un déshabillé de panne de soie rose tachetée de rouille et de brûlures de cigarettes.
Simon Liberati, Performance, page 150, éditions Grasset, 2022
Décolleté, dentelle, dénudé, dessous, dessus
@ruiofficial.me, depuis son instagram ou son site, diffuse l’éditorial de la marque RUI, créée par Rui Zhou. Les ensembles déployés sont à la fois parures de nuits, looks néo grunge aka punk, déshabillés d’un bord emmitouflés de l’autre. Vestiaire dont la volonté ambivalente n’a d’égal que le couvrement et découvrement paradoxaux du corps du modèle. Par parties ou ajouts de prothèses, le mannequinage étrange accentue par de francs décolletés et dénudés, une sensualité qui passe outre le poncif de la bimbo, de la nymphe, de la pin-up et évoque davantage l’avatar sexy des métavers IRL. Par de fines mailles éthérées et transparentes qui retiennent des poitrines méga, par de mini culottes retenues par des courroies ou brides filaires, par des doudounes de bras ajustés à une robe filet et un string rosés, par une longue bandelette jacquard reliée d’agrafes enroulée ajourée autour de quelques parties du corps… RUI adresse à la foule une chimère, garde robe qui redessine à même le corps. S’épelle un programme érotique d’un genre extrasensuel, transdimensionnel, où dessus, dessous et dentelle sont renversés.
Duvet
De Paranoïd Park à Ken Park, d’une caméra torve, sinon concupiscente, Larry Clark décrit le moment ambigu du corps transitoire des adolescents et du mode d’existence par lesquels sont traversés ces jeunes personnes. Le duvet, masculin, moustache pubère, guiboles poilues et torses imberbes des skaters, pose l’acmé d’une érotisation, lorsqu’il ne les filme pas complètement nus, de jour.
Drogue(s) (voir Vampire, Zzzzzz)
Il se défonce comme d’autres respirent, c’est-à-dire sans arrêt. Il lui arrive certes de dormir, mais par brefs spasmes, et seulement après plusieurs jours et autant de nuits passées à s’épuiser à coups de shoots d’héro et de lignes de coke. Le repos, pour lui, c’est s’affaler deux ou trois heures, inconscient, sur un canapé décati; après quoi, requinqué, il repart pour trois ou quatre jours de délire non-stop. Des rumeurs, dans le clan Stones, prétendent qu’il est doté de facultés surhumaines. Les roadies commentent à voix basse ses derniers marathons hédonistes, et certains croient dur comme fer qu’il a deux foies.
Nick Kent, The Dark Stuff, page 180, éditions naïve, 2006
E
Écran
Tinder, grindR, Happn, Bumble, Fruitz, ce cocktail d’applications numériques nourrit les fragrances musquées et lutines de l’ère actuelle. Sans se substituer à la rencontre du coin d’un bar, de la série d'œillades d’un club bondé ou de l’aventure d’une backroom, les plateformes de rencontre, sexuelle notamment, formalisent un programme très concret, lifestyle de l’immédiat et de la livraison à domicile. À l’orée de l’envie, ici, hors du cycle des nuits, la sulfure est une ordination dont les formats sont épicés depuis la surface lisse et miroitante du smartphone. Écran d’un soir.
Mode d’apparition et de paraître versatiles, les campagnes éditoriales de mode, les défilés proformats…, fonctionnent désormais sur le même mode événementiel d’une pulsion scopique, coup d’un jour.
Enlèvement
Voir Rubens et l’enlèvement des filles de Leucippe où Castor et Polux, bougres d’hommes attrapent les cuisses capitonnées mais délectables des belles Hilaire et Phébé. Elles nues, eux parés. Elles molles, eux dûrs. Deux chevaux cabrés en arrière plan assurent la subtile gaudriole qui va suivre, la nuit tombée. Ut pictura pœsis ?
Eunuque (masculin)
Immaculé, guerrier implacable nommé Ver Gris, Varys conseiller politique aux chuchotements machiavel, Theon Greyjoy noble pineur démis et défait, dans Game of thrones une kyrielle de virilités contrariées invente des mondanités d’eunuques. Discours d’incapacité, masculinité nouvelle, fragile subsistance, zeitgeist de la débandade, l’absence de paquet ici propose l'alternative sensible aux veilleurs de la nuit, fiers à bras irrités et irritables dans la même saga et série.
Eunuque (féminin)
Lorsqu’on regarde aujourd’hui une séquence vidéo des défilés de Montana, on ressent un certain malaise. La coupe de ses vêtements est superbe, c’est un fait, les finitions irréprochables, le cuir exquis, le modelé magistral, mais on est écrasé; c’est l’anéantissement de la féminité, moins par misogynie que par volonté de créer un eunuque féminin. On ne relève jamais chez Montana la moindre trace d’admiration pour la femme; au contraire, ses vêtements éveillent de déplaisantes associations avec le faschisme_par l’iconographie de l’aigle, bien sûr, par les manteaux de cuir traînant jusqu’à terre et les gros ceinturons de cuir d’esprit militaire, mais surtout par la beauté glaciale et réfrigérante de l’ensemble de sa vision.
Alicia Drake, Beautiful People, page 399, éditions Denoël, 2008
F
Fête
Les invités arrivaient. Les déguisements étaient assez prévisibles : des vampires, un lépreux, Jack l’Éventreur, un clown à l’allure monstrueuse, deux assassins à la hache, quelqu’un qui semblait simplement se cacher sous un grand drap blanc, une momie dépenaillée, quelques adorateurs du diable, et il y avait pas mal de mannequins et un paysan pestiféré et, comme prévu, tous mes étudiants étaient des zombies. Quelqu’un que je n’ai pas reconnu est venu en Patrick Bateman, ce que je n’ai pas trouvé drôle et ce qui m’a même causé un problème : voir ce type, grand et beau, dans un costume Armani (daté) taché de sang, embusqué dans tous les coins de la fête, examinant les invités comme s’ils étaient des proies, m’a totalement angoissé et même fait plané un peu moins haut, et j’ai dû retourner dans mon bureau pour arranger ça.
Bret Easton Ellis, Lunar Park, page 54, éditions Robert Laffont, 2005
Fétichisme
Ce manège singulier, une dispersion de soi qui était aussi un élargissement, s’apparentait au goût qui était le sien de s’envelopper le corps et le visage de foulards, de rubans de couleur, de chaînettes d’or ou d’argent aux chevilles, de pendants d’oreilles et de tout un parement compliqué de nœuds et de colifichets. Je ne l’avais jamais possédée tout à fait nue et même dans le lit, explorant son corps, je découvrais toujours un ruban prélevé à un paquet de pâtisseries, une petite médaille inconnue, une chaînette oubliée, un ex-voto pendu sous l’aine, quelque chose.
Simon Liberati, Performance, page 178, éditions Grasset, 2022
Fetishwear
De la nuit des alcôves, des backrooms, à l’hypervisibilité des podiums et des réseaux, comme un contraste en noir au blanc, une photographie de Mapplethorpe. Même les pages du Vogue l’ont noté pour la période de l’après confinement : l’univers et les accessoires du fétichisme, s’ils ont toujours fait partie du vocabulaire de la mode subversive mais pas que, de Vivienne Westwood à Alexander McQueen en passant par le cuir chez Claude Montana pour ne citer qu’eux, contaminent les collections de mode, pendant que les icônes de la pop culture déploient aux yeux de tous le total look cuir ou latex, les zips stratégiques, les déclinaisons du harnais ou de la cagoule. On peut formuler l’hypothèse qu’un tel engouement ne serait que l’exacerbation du fétichisme latent dans tout geste de mode offensif, mode qui nie et pare le corps tout à la fois, en invente des substituts. Dans quelle mesure l’évocation esthétique de pratiques sexuelles marginales participerait-elle d’une forme de libération reste à réfléchir. On peut aussi y lire la recrudescence d’un contrôle, d’une intimité qui mise en scène, aujourd’hui instagrammée, hyper relayée par les médias, se doit plus que jamais d’être bridée et spectaculaire.
Fouet
Lanières, badine, cravache… Le fouet et ses déclinaisons dominatrix trouve chez Mugler l’allant d’un bustier cuirassé motard aux lanières furieuses, chez Mister Pearl, endimanché de son corset, les deux mains ployant la baguette gagnée une vive contraction. Avec Gaultier, chez Hermès, la cravache est plus sage quoique sous tension.
Fumet
Il semble que je sois protégé par Hermès, dieu des larrons et guide des morts. Il m’inspire mille subterfuges, il conduit sans encombre jusqu’à mon lit les objets de ma passion.
Jérôme. Il est aussi grand que moi mais si mince qu’à deux mains je pourrais presque emprisonner ses hanches. Il ne sait que faire de ses longs bras, ni comment placer ses longues jambes, plus dégingandé qu’un poulain. Sa poitrine, ses cheveux, son visage aigu ont une saveur de sel, comme s’ils avaient été baignés de larmes mais, jusqu’à ce que je l’ai purifié de ma salive et séché de mes caresses, son sexe avait un épouvantable goût de lavande.
Gabrielle Wittkop, Le nécrophile, page 61, Éditions Verticales, 2001
G
Gode
Gode, godemichet, godemiché ou godemichou, et la farandole de plugs, bijoux d’anus et substituts phalliques qui accompagnent la collection de l’objet priape, procurent à l’endroit choisi un plaisir. Depuis l’ancestrale caverne, entre représentation et instrument, jusqu’aux temples des sexshops, la trique artificielle sait la rhétorique de l’éloquence, démonstrative et inépuisable face au trou. Sans genre ni prédisposition, transculturel, l’accessoire se charge des offices indistinctement, en solitaire, double, en commun, de communauté, fétiche. Harnaché et porté à la taille, il devient ceinture, laissant les mains libres. Pris des modes de son temps, il adopte les matières, tailles, mœurs et formats innovants et trouve dans le savant moulage des qualités et résolutions, du pur streamline au réalisme veineux des braquemarts dont Sade détaillait déjà les longueurs dans les 120 journées… lorsque Baudelaire parlait lui de la Morale du Joujou. “Réjouis-moi”, ou comment subsumer la beauté impromptue d’une verge de silicone fluo pailleté dressée.
H
Harnais - Helmut Lang
En déroulant le fil d’une plateforme numérique du second marché du vêtement, à l’occurrence “harnais”, remonte, non sans émotion, une décennie de mode 2000, celle d’Helmut Lang et de sa marque, la première, indécente et new-yorkaise. Et non celle apocryphe que la fast fashion a fait renaître de manière absurde. Harnais donc comme la chose qui vient par-dessus la silhouette, qui rend visible comme un exosquelette mis à nu, une forme de structure qui rend objet le corps de la bête, de l’homme, du vivant, et permet de subsumer la matière en véhicule de désir pour l’autre. Fall-winter 2003, harnais noir, harnais cuir, reliquat de structure de chemise, ceinture de sécurité doublée d’avant crash, satin blanc d’un décravatté torride, fagoté de boucle de parachute sur androgyne dompté.e, toutes voiles ouvertes. Le harnais, comme la signature d’avant la luxure pour le viennois Helmut Lang, est un savant jeu de réinvention du désir et d’un corps lié. BDSM soft et bondage normcore.
Hermès
L’illustre maison du cuir et de la sellerie, entre cravache et bonde, étrier et étrivières, brides et bottes, brosses et mors, depuis la première moitiée du XIX et jusqu’aux réinterprétations délicates de Margiela et des designers suivants, exception faite de Gaultier, jouent d’une grande sobriété sinon d’une pudeur à l’endroit de la sensualité. Ici forme follows fonction. Jusqu’à la fameuse ceinture à un trou, chaste et fidèle. Accessoire devant l'éternel.
Intégral - combinaison
Artiste de performance et figure de la nuit londonienne dans les années 80, Leigh Bowery, qui explora toute sa vie les questions liées au genre et aux normes, marque l’histoire du costume puis celle de la mode parmi la plus ambitieuse; McQueen ou Rick Owens lui doivent ainsi beaucoup.
Bowery aura ainsi développé, pour lui-même, un vestiaire syncrétique, à la croisée du bondage, de l’univers SM, des costumes médiévaux revus et corrigés à l’aune d’une fantaisie clownesque, queer, de cabaret. Sous des combinaisons intégrales rehaussées de colifichets et autres prothèses, Bowery s’efface en tant qu’homme, en tant qu’être humain. Si elle n’est pas métamorphosée par un maquillage outrancier, c’est jusqu’à la moindre parcelle de peau qui disparaît. Et Bowery accouche ainsi d’une créature, d’une chimère transgressive. On sied grès au peintre Lucian Freud d’avoir portraituré Leigh Bowery dans son plus simple appareil, de l’autre côté du miroir : un colosse de chair dont les moindres aspérités auront alors été révélées plein jour.
J
Jarretière
_ Y a-t-il deux vers ? Je n’en sais rien.
_ Fais-moi le plaisir de le lire. Ils sont français.
Comme elle était assise sur moi, elle se défait d’une, tandis que je lui ôtais l’autre. Voici les deux vers que j’aurais dû lire avant de lui donner les jarretières :
En voyant tous les jours le bijou de ma belle
Vous lui direz qu’amour veut qu’il lui soit fidèle
Ces vers que, quoique polissons, j’ai trouvés parfaits, comiques et spirituels me firent éclater de rire, et encore plus rire quand pour la contenter j’ai dû les lui expliquer à la lettre.
Casanova, histoire de ma vie, page 675 (volume 3 - chapitre XIV), éditions Robert Laffont
Jockstrap & Ludovic de Saint Sernin
White, brown, black, gray, le jockstrap de cuir de chez de Saint Sernin est un underwear explicitement sexuel - comment le penser autrement - dont les lacets s’ouvrent sur la chose, triptyque divin du paquet double et de la queue. Et l’accessoire brillamment dégage le cul, l’autre partie désirable de l’homme offert. Le jockstrap est sans détour un partitionnement érotique, la jarretelle appliquée aux formes masculines. Dès lors, Saint Sernin accrédite l’objet fétiche artisanal et le déplacement d’un rang l’image éditorial de pornographique ou subversif à minou coquin. Ici, le bellâtre, plutôt fin, représente un entredeux du genre masculin BelAmi (porno gay), catégorie du twink et le manifeste retour d’un stéréotype certain, post Helmut Lang ou Slimane.
Take care, leather is sweet !
K
Képi
Cet élément de la tenue militaire coiffe le soldat de l’armée de terre. Chaque élément de cette dernière phrase autorise aux projections et fantasmes que l’objet synthétise. Une masculinité puissante et décidé, un uniforme qui ouvre des horizons fantasmatiques, les pieds dans la boue, la souillure et la correction à la fois. Grand dieu, le képi.
Dans Cruising de Friedkin, le képi de policeman est troqué promptement par Al Pacino d’un uniforme queer, bandana et débardeur moulant, pour infiltré le milieu gay BDSM et la traque d’un serial killer. L’identité de l’homme mise à mâle, sans son couvre-chef, est magistrale.
Voir : cockring, jockstrap, jarretière, harnais, fouet, latex.
L
Léotard (voir Académique - Integral)
Musidora inaugure une lignée d’amazones sanglées dans le noir de la nuit, sexualité aussi réprimée qu’exhibée : Catwoman, Honor Blackman et Diana Rigg dans The Avengers, Fantômette. Secrétaire, scientifique, ou petite fille le jour. Justicières masquées en léotard de cuir ou de latex noirs, elles endossent en même temps que le costume une autre identité, qui efface leur activité diurne, preuve que nul être n’est réductible à sa place sur l’échiquier social.
Nelly Kaprèlian, Le manteau de Greta Garbo, page 46, éditions Grasset et Fasquelle, 2014
Latex
@avellano_official, ou depuis le site du même nom, une maison qui flatte une matière élue, le latex déployée à l’échelle de grandes surfaces de trenchs, robes du soir, combinaisons nimbantes. L’état élastique reconnaît l’affinité d’avec le corps, peau contre peau. L’allure est étrangement liquide et sirène, pétrolifère. À l’image des égéries que la maison habille, Julia Fox, Kim Kardashian, Katy Perry, Cindy Bruna, Willow Smith, Rosalia, Kris Jenner, Doja Cat, ou Camille Razat, la matière sensuelle ambivalente décline une industrie créative pop, extra moulante certes mais à l'érotisme édulcorée.
Lamé
Étoffe tissée ou tricotée de fils de métal principalement or ou argent, le lamé se révèle intrinsèquement fragile, les fils de métal et leurs coutures étant sujets au glissement. L’armure vite cassante ou défaite du lamé rend ainsi ce dernier difficile pour tout vêtement à usage fréquent. Le lamé signe en revanche l’exception scintillante et théâtrale, étoffe idéale pour les artifices provisoires de la nuit.
M
Masque(s)
Le bal masqué ou la fête costumée sont bien-sûr des déclinaisons d’une longue tradition carnavalesque, et ce que cette dernière suppose de renversement, quand bien même éphémère, des normes et des conventions sociales. Élément clé, il serait fastidieux de circonscrire toutes les occurrences du masque, et les travestissements et parades qu’il accompagne. On se bornera à évoquer ici quelques moments. Ainsi les masques vénitiens dont se parèrent les invités d’un célèbre bal vénitien donné par Karl Lagerfeld au Palace en 1978. Ainsi les masques vénitiens encore, quoique dans une version plus tragique, que portent l’élite new-yorkaise pour préserver son anonymat et celui des belles de nuit qu’elle convoque pour son bon plaisir, et pour une fantasmatique scène d’orgie dans le film Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.
Quant à la mode à proprement parler ? Martin Margiela voilait volontiers le visage des ses mannequins lors des défilés, pour interroger leur statut comme leur corps archétypal. Alexander McQueen aura régulièrement livré d’impressionnantes cagoules intégrales faites de dentelles et autres sophistications arachnéennes, ornées de broderies ou d’une parure en forme de main squelettique, pour transporter ses héroïnes dans un conte gothique dangereux. Walter von Beirendonck aura quant à lui hybridé l’univers du bondage, du catch et des super héros de comics, pour masquer le masculin dans une dimension burlesque et transgressive, et puisque dans masculin il y a masque et cul comme l’affirmait feu Jean Luc Godard.
Si le bal masqué a officiellement disparu du calendrier festif et mondain, on peut arguer que le masque a désormais essaimé à tous les niveaux du spectacle, cette fois dans une dimension plus insidieuse : ainsi les jeux d’une offensive cosmétique, piqués de chirurgie, et bien-sûr filtrés, pimpés sur la toile et les images. On méditera cette anecdote à propos de la marquise Luisa Marchesa Casati, muse et mécène excentrique du début du vingtième siècle et qui organisait elle-même de grandiloquents évènements : il arrivait à cette dernière d’envoyer, aux réceptions où elle ne souhaitait pas se rendre, un mannequin de cire à son effigie juché sur une chaise à porteur en guise d’elle-même_mannequin tout de même habillé en Paul Poiret, étiquette oblige.
Moratoire noir (soirée)
Les fêtes et les bals costumés, les sorties en boîte et les évènements en tous genres rythment l’ouvrage-enquête d’Alicia Drake « Beautiful People », consacré au milieu de la mode parisienne dans les années 70 et 80, à travers les figures d’Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld. Drake y rappelle la création le 24 octobre 1977 d’une soirée intitulée « Moratoire noir » par Jacques de Bascher; ce dernier est alors le petit ami officiel de Karl Lagerfeld, il aura été l’amant d’Yves Saint Laurent, aiguisant la rivalité et provoquant la brouille entre les deux créateurs. Oisif, sulfureux, décadent, Jacques de Bascher organise pour clore une semaine de défilés de mode une nuit en l’honneur de Karl Lagerfeld. Celle-ci se tiendra à Montreuil dans un quasi hangar de béton nommé la Main Bleue, dont la froideur est un écrin idéal pour accueillir 4000 personnes à qui l’on a réclamé, pour venir, une « tenue tragique noire absolument obligatoire ». L’ambiance est à l’obscurité traversée de rayons laser, de neige carbonique, de gaz moutarde et de poppers. La débauche est investie par un univers sadomasochiste et homo-érotique digne de l’illustrateur Tom of Finland. Une scène accueille notamment les pratiques extrêmes telles le fisting ou les humiliations enchaînées pour la joie, les frissons ou l’effroi de la foule. Moratoire noir pose ainsi un outre-monde qui consume à sa manière sombre et provocante les utopies de mai 68, dans le sillage post-punk et vers les violentes années 80.
N
Nu
Lui, il avait choisi : la réalité mise à nu. Il voulait deux choses : la farce et la beauté. Un : la vie sociale est une comédie. Bas les masques ! Je vais vous la jouer en farce… Deux : je veux la beauté en prime. La farce et la beauté, ça faisait peut-être une chose de trop.
Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven, page 93, éditions Gallimard, 2000
Nuit (la Mille et deuxième Nuit - Paul Poiret)
À l’aube du vingtième siècle, les grands couturiers entendent séduire le Monde, prouver leur légitimité quant à parer les figures de l’élite sociale et culturelle. Outre la maîtrise et la signature de leur art, il leur faut aussi marquer la vie mondaine. Après Worth, Paul Poiret aura à cœur d’organiser des festivités dont il faut être. Ainsi en 1911 imagine t’il la Mille et deuxième Nuit, où 300 invités seront conviés dans sa maison et son jardin situés rue du Faubourg Saint Honoré à Paris. Schéhérazade ne repousse t’elle pas la menace funeste qui pèse sur sa tête et celle de toutes les femmes de son pays en séduisant le Sultan par des fables, dont la fantaisie sans cesse déjoue et rejoue les perspectives implacables du pouvoir, du destin ? Et il y a l’érotisme : celui révélé par la re-traduction de Mardrus des célèbres contes, qui remporte alors un vif succès; celui encore, spectaculaire et chamarré, du ballet « Schéhérazade » de la compagnie des ballets russes, qui enchante les milieux artistiques de l’époque. Paul Poiret raconte le déroulement de sa nuit costumée dans ses mémoires. Le carton d’invitation est illustré par le fauve Raoul Dufy, et le rêve persan sera une mise en scène totale. Pour marquer la césure d’avec le monde réel, la maison est fermée par des tapisseries afin que nul œil ne puisse y pénétrer depuis la rue. Les tapis et les coussins brodés recouvrent jusqu’aux allées des jardins. On a fait venir des singes, des aras et des perroquets vivants. La femme de Paul Poiret elle-même accueille les convives en compagnie d’amies habillées en concubines de harem, dans une immense cage d’or aménagée. Un comédien joue au conteur, et les buffets, les orchestres, les danses et les spectacles divers, dispersés çà et là, multiplient les ambiances. Les costumes orientaux sont bien-sûr de rigueur, pour parachever la magie multicolore partout régnante, des tentures aux liqueurs précieuses proposées par un bar dit « ténébreux ».
Et ce sera le Mille et deuxième Nuit
Et cette nuit là il n'y aura pas de nuages dansle ciel et rien de ce qui existe n'existera
Il y aura des clartés & des parfums & des flûtes et de timbales & des tambours des soupirs de femmes & le chant de l'oiseau Bulbul*
* extrait du texte du carton d’invitation
O
‘O, Marquise d
Bourdin est obsédé par la mortalité et par les filles prépubères, alors que Newton évolue dans un panthéon de fantasmes fétichistes de servantes et de maîtresses, du Berlin de Weimar, d’Histoire d’O et de tout ce rituel sadique de l’entrave et du lien. “Le coffre de ma voiture était rempli de chaînes, de cordes et de menottes”, se souviendra Newton, nostalgique, à quatre-vingt-trois ans.
Alicia Drake - Beautiful People (Saint Laurent, Lagerfeld, splendeurs et misères de la mode), page 345, éditions Denoël - 2008
Owens Rick
Rick Owens et Michèle Lamy, sur un autre ton mais dans un enthousiasme subversif commun à Westwood & Kronthaler, auront penser la grande fête du début du XXIème siècle, à Paris, au centre Pompidou (faut-il y voir un hommage aux non moins sulfureux Pompidou’s) une grande fête lors de feu la FIAC 2019. Là, dans les étages de l’institution, le programme qu’énonça Rick Owens était simple : “I want it to be an art orgy in a controlled environment (a museum)”, programme en miroir immédiat aux combats, convictions et collections de sa maison. Là, œuvres et corps performatifs mêlées, danses obscènes et dessins, exaltations des sensualités s’accordent dans une logique d’ensemblier infernal, avec l’évidence d’une énergie queer, la puissance transgressive d’une dépense à la Bataille, d’un érotisme qui déjoue et réjouit.
P
Palace
Ce nom résonne avec nostalgie lorsqu’il revient régulièrement dans la presse, depuis la prose des journalistes et des écrivains, les paroles des créateurs ou des musiciens, des noctambules de tous bords, qui connurent le lieu qu’il désigna de 1978 à 1983 : un ancien théâtre reconverti en boîte de nuit, fondé par Fabrice Emær, qui souhaitait proposer à Paris un équivalent du célèbre Studio 54 new-yorkais. À cette différence près qu’ Emær voulait un espace socialement ouvert et métissé, contrairement à son riche cousin américain. Même bande-son disco, mais l’utopie du chic et du freak en même temps, le huppé et le populaire, l’art et la rue, pourvu que les tenues, signées ou bricolées, fassent leur effet, et que les corps quelles que soient leurs origines soient beaux et désirables, aptes à tous les caprices débridés une fois admis à l’intérieur. Alors l’aristocrate fricote avec le punk, Loulou de la Falaise côtoie la jeune Eva Ionesco, les garçons perdus, l’allure couture les trouvailles de Barbès. À l’entrée le sésame est délivré par Jenny Bel’Air, Paquita Paquin, Edwige, qui composent un brassage de silhouettes et de gueules étudié. Le lieu s’éteint après quelques années ravageuses, et avec lui, bientôt, une certaine idée de la fête, sans entrave et non sponsorisée.
Piercing
Dans une courte nouvelle parue pour un hors série des Beaux-arts (BAM n°11 - vies modes d’emploi) en 2004 et consacrée aux pouvoirs de la parure, l’écrivain américain Bruce Benderson rappelle combien l’attrait des bijoux repose sur ce contraste, qui oppose la dureté et la longévité des pierres et du métal à la vulnérabilité de la chair humaine. Ce contact, où le bijou, tel un talisman vecteur de pouvoirs, prend l’ascendant sur le corps, se nimbe pour l’auteur d’un érotisme non dénué d’une part de sadisme sinon d’agressivité. Ainsi le piercing, qui renoue avec les pratiques observées depuis nombre de cultures dites primitives, et qui peut accaparer toutes les parties du corps, organes génitaux compris, suggère t’il « asservissement, masochisme et fétichisme » mais encore « endurance et courage », vigueur ou férocité. Proprement incisif, le piercing, comme le tatouage, s’empare du corps pour augmenter ce dernier tel un territoire, avec ses zones, ses frontières, où défense et maîtrise de soi diffusent une séduction ambivalente.
Pulp
Nom du club de nuit, d’une génération qui succède à celle du Palace, sur les abords des grands boulevards. L’expression musicale électro devient la signature évidente de la communauté lesbienne d’alors, et invente au Pulp une qualité de présent de cette époque. Les styles vestimentaires y sont simplifiés, décontractés, sans le snobisme ni les codes d’une mode grégaire.
Si certaines soirées sont réservées aux habituées, la dimension friendly sans angélisme est réelle.
Une Dame, pipi, y documentera quelques états et looks, où girls and boys brillent de leurs libres atours.
Q
Querelle
Johnny Rio paraît ténébreux, presque sinistre, tel un ange du sexe, ou de la mort.
Voici à quoi il ressemble :
Il est très masculin, et dans le jargon homosexuel il est souvent décrit comme un “mec hyper viril” - expression immanquablement accompagnée de grands roulements d’yeux et de petits coups de langue nerveux, humides, autour des lèvres. (…) Il marche avec grâce, légèreté, comme une panthère - dans un pavanement crâne et presque imperceptible.
(…)
Encore une fois, comme toujours chez les hommes réelles désirables, il plaît aux deux sexes - et même si certains, parmi la gente masculine, ne s’avoueront jamais cette attirance, ils l’éprouveront, mais déguisée en une sorte de colère ou de ressentiment à son encontre. Johnny à l’habitude de ce genre d’hommes, mariés en règle générale, qui lui cherchent instantanément querelle.
John Rechy, Numbers, p.17-19, Éditions Laurence Viallet, 2018
R
Rave
La fête sans le profiler à l’entrée, sans l’art de la sape nécessairement spectaculaire; la fête sans les murs parfois, lorsque plutôt qu’un club ou qu’un hangar désaffecté, les organisateurs auront choisi quelques champs en rase campagne. La fête sans autorisation officielle, qui devient alors Free Party, quand l’adresse et le lieu tenus secrets circulent depuis les ramifications d’un réseau, depuis l’amour des beats longs et puissants et pour danser jusqu’à la transe, soutenu par l’ivresse provoquée par cette drogue nouvelle au nom comme une promesse édénique : ecstasy. C’était les années 90 mais cela continue encore. On en connaît certains qui n’en sont pas descendus, d’autres qui se sont égarés bien au-delà du rendez-vous, pour quelques jours voire quelques semaines, redevenus loups des bois. Les free parties font d’ailleurs régulièrement frissonner la presse, qui fantasme le danger d’une jeunesse ensauvagée. Qu’y porte-on sinon ? Du baggy, ou du moulant synthétique, ou trois fois rien puisque la sueur mêle les corps les uns aux autres, les matières brillent parfois pour jouer avec la lumière stroboscopique, puis du sportswear, des baskets pour ne pas se faire marcher sur les pieds, filer aussi, lorsque c’est nécessaire. Et un hoodie le matin, parce qu’il fait soudain froid.
Robe
Il a pris une double épaisseur. Et ça y est : il commence à couper. Les trois dames, à distance, ont les yeux rivés sur les ciseaux argentés. Il taillade vite dans le satin, ça a quelque chose d’iconoclaste, de brutal, de voluptueux aussi. Le bruit métallique se double d’un crissement soyeux. Elle, elle regarde droit devant elle, nue devant, recouverte derrière du tissu noir qu’il retient plaqué de la main gauche.
Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven, page 106, éditions Gallimard, 2000
S
Soir (robe du)
Courte, longue, dos nu, fendue, lacée, galbée, baleinée, les épaules découvertes… La robe du soir est l’exercice de style par excellence du grand couturier, un geste qui accueille la dialectique du caché-montré, pudeurs et impudeurs savamment balancées. La robe du soir est un prélude à la fête et à l’érotisme, une promesse. Elle signe aussi la persistance de la femme objet, offerte au regard, au désir; elle est la mise en scène et l’exaltation de la nudité du corps féminin, comme l’anticipation de son déshabillage.
Le jeu des étoffes, les ennoblissements textiles, encadrent avec la robe du soir le corps féminin tel un écrin; ils jouent avec la lumière, encensent la carnation d’une peau, achèvent de faire jouir le regard. On peut évoquer un échantillon de ces nobles matières : taffetas gaufré tramé de lurex, broderies de fils lamé, dentelle chantilly, fourrures, perles de verre, strass, paillettes, tulle de nylon brodé de paillettes métalliques, pampilles, satin de rayonne, satin de soie, jersey de soie, pongé de soie, velours de soie, mousseline, faille, crépon de soie_ et puis un crêpe de laine, noir, qui, chez Yves Saint Laurent, vient soudainement absorber la lumière, jouer tout contre elle pour accueillir la nuit.
Sueur
À l’heure des lampes bleues qu’on allume sur les collines, ce que j’aurais voulu, moi, c’est poser mes lèvres sous les aisselles de Paulina Semilionova pour y respirer la sueur de la nuit, la sueur douce et salée, et descendre vers les seins minuscules, puis vers le ventre et ses odeurs marines, la toison enchantée (…). Il n’y avait pas que le con de Polly qui me rendait fou de désir, son anus aussi était un lieu de rêveries intenses.
Jean-Pierre Martinet, Jérôme, p.178, Édition Finitude, 2008
T
Tutu
Il y eut certes quelques secrets au sein de l’Opéra Garnier. Parmi eux, le Foyer de la danse, une salle cachée par un rideau à l’arrière de la scène, supposée service de lieu d’exercice aux danseuses, salle originellement placée par l’architecte dans l’axe de la scène principale, afin qu’elle puisse servir de prolongement pour les mises en scène nécessitant de grands effets de profondeur. Or en réalité ce foyer permettait aux abonnés exclusifs de l’Opéra de venir y choisir une danseuse. La double voussure du plafond de cette salle, ornée de cupidons et autres fantaisies rococo, cachait ainsi une galerie secrète, destinée aux voyeurs… Foyer et maison close ! Ce mélange douteux cessa en 1935, où les abonnés furent définitivement chassés.
Téton (bijou de)
Secret jusqu’à son dévoilement, à moins que le métal qui le compose ne le laisse deviner sous le fin jersey d’un t-shirt ou le voile d’une blouse, le téton qu’il accompagne discrètement dressé, ainsi enserré par cette froide fantaisie, le bijou de de téton ou de mamelon se déploie évidemment depuis le vocabulaire du piercing. Les embouts en acier chirurgical se parent alors d’extensions de toutes formes, pendants ou chaînettes augmentées de strass et autres brillants, mais encore micro cadenas, papillons, ailes de chauve souris. On note que les modes d’accroche varient, qu’il existe des versions autocollantes ou pincées. Enfin des entrelacements plus ou moins complexes de chaînes peuvent depuis ce bijou, étendre la parure à l’ensemble du buste, et au-delà. On entre alors dans une autre catégorie, plus large, d’un goût plus ou moins louche, celle des parures d’esclaves ou autres fantaisies orientales.
U
Usé-Used
Râpé, souillé, troué, la dimension punk, comme “puissance d’agir” et contre-culture, détraque le système et ses masses mainstreams inféodés. Contestataires, le mouvement et par extension la communauté Punk viennent détramer l’évidente norme, le canon en place, le rapport de hiérarchie. Comme mode d’existence impliqué, il indique un corps à soi, en marge, l’héraldique subversive même d’un combat qui se joue au raz du sol et dans la saleté. L’image, l’attitude et le style renvoyés sont alors nécessairement criards et peu amènes.
“ À la suite des Ramones, les punks rockers ont pris la pose devant des murs abîmés, tagués, des caniveaux (…). Le corps des punks est au centre de cette iconographie : la saleté est d’abord un rapport à soi, une manière de ne pas être “propre sur soi”. Dans le style punk prédominant les matières abîmées (maquillage coulé, cheveux ébouriffés, habits déchirés, froissés, rapiécés), décomposées (boue, eau stagnante, mousse, fluides non identifiés), taboues (sang, poils, merde, pisse, graisse capillaire).”
Jeanne Guien, Sales punks, p. 17, in Penser avec le punk, Édition la vie des idées - PUF, 2022.
Un mystère subsiste : Le corps des punk a-t-il un sexe ?
V
Vampire
Je revins vers elle, impatient, comme un jeune époux. Sa délicieuse odeur de bombyx était juste telle qu’il fallait. Je portai Suzanne sur mon lit. D’une main tremblante, je lui enlevai son soutien-gorge, sa petite culotte. L’attente m’arrachait des gémissements, la tension de mon désir ne me permettait plus de différer l’instant de la possession. Je me jetai sur cette morte charmante et sans même la débarrasser de son porte-jarretelles ni de ses bas, je la pris avec ferveur et une violence que je n’avais, je crois, jamais éprouvées jusqu’alors.
Gabrielle Wittkop, Le nécrophile, page 40, Éditions Verticales, 2001
Verrou
Fameux tableau de Jean-Honoré Fragonard, scène d’un libertinage d’époque, l’allégorie est sans mystère, la pomme n’est pas croquée certes mais les rouges pamoisons des joues de la dame, sa vive allure cambrée, les voluptueuses volutes textiles enlacées de la robe, des draps et des rideaux du baldaquin, le tout démis. Ces mollets nus surmontés d’une culotte remise et de manches négligemment remontées. Ferait-il chaud ?
W
WC (Dame pipi)
Cabinet d’eau, lieux d’aisances ou d’attentes interminables, le toilette du club, du bar à culs, de l’inconnu.e rencontré.e quelques minutes plus tôt, sont une étrange place, mi publique mi privée, l’agora dont la part d'alcôve toujours rejouée invite à la parole. Boudoir et salon, les potes et copines y vont pisser ensemble et dégoisent des gueules du soir. L'œillade susdite trouve sa main ou sa langue. Dame pipi régule et dans le meilleur des cas, photographie (si l’on pense au Pulp jadis). Subreptices, les prises de substances psychotropées ou les coups tirés avec fougue, agitent un cabinet moins surveillé. On ne peut avoir les yeux partout ma bonne dame.
Wild
Le côté pervers d’Annabella, inconsciente du voyeurisme sexuel de son public adulte, traîne dans son sillage l’image de McLaren, celle du marionnettiste qui tire les ficelles. Mais le rôle de McLaren est un peu différent de celui d’un Hitchcock, d’un Louis Malle, ou d’un Godard. En fait, ses scénarios contrecarrent certaines images médiatiques qu’il exploite (utilisant ses artistes comme appâts) et déconstruit de la même manière que les médias. Annabella et les autres membres de Bow Wow Wow sont exploités et pourtant libres de définir (redéfinir) la situation selon leurs propres conditions et leur propre langage.
Dan Graham, Rock/music, page 122, Édition des presses du réel, 1999
X
X - films
De nuit comme de jour, à toute heure, sur les écrans, que portent les acteurs et les actrices de l’industrie pornographique ? À peu près tout. Il y a bien-sûr les tenues et accessoires de l’univers BDSM en cuir, latex, chaînes et clous, il y a les tenues promues par l’industrie du désir, appellation équivoque, telles les porte-jarretelles, les corsets ou les cuissardes… objets qu’il convient de porter pour mettre en valeur les performances des corps travaillés, voire apprêtés par la chirurgie. De manière générale les panoplies varient en fonction des contextes hâtivement mis en scène, des préludes expédiés, selon les segments ou les spécialités proposés. Le vestiaire ordinaire y a aussi toute sa place, revu et corrigé à l’aune d’une disponibilité de façade, où la trivialité le dispute à l’obscène : jupe d’écolière ou chemiser de secrétaire étriqué.
Au sujet du biopic que l’industrie hollywoodienne classique aura consacré en 2013 à l’actrice Linda Lovelace, célèbre pour son rôle dans le film Gorge Profonde, la costumière Karyn Wagner, pour habiller l’actrice Amanda Seyfried, aura ainsi relu et corrigé la garde-robe typique des années 70 sur les thèmes du désordre et de la vulnérabilité, pour induire à l’image le dénuement d’une jeune femme dépassée par ce qui lui arrive : ses vêtements sont mal assortis, et s’énoncent à l’aune du trop court, du trop moulant, du transparent.
Dans une autre catégorie X, Bruce LaBruce explore et réalise un type de cinéma gay notamment édité chez Cockyboys. Le genre multiple de la production pornographique comme les pratiques que la sexualité développe, d’affinités et d’humeurs, de fétiches et de codes, rend cette industrie “culturelle et créative” très systématique et réduit à l’os la part artistique des images. Ici Bruce LaBruce tire son épingle du jeu par l’art de vivre, si l’on peut dire, comme les décors et le stylisme, réalistes ou crus, qui permettent de contextualiser instantanément la sociologie des caractères, et donc par extension les catégories sexuelles par lesquelles entrent sinon pénètrent les acteurs de ces scènes filmées. Bruce LaBruce travaille les à-côtés scénaristiques de l’action pornographique comme la photographie, terme académique emprunté ici à l’industrie du film mainstream, une dramaturgie pornographique s’installe. D’une belle tension.
Y
Y/Project
Ah !
Les bottes cuissardes, grandes jarretelles d’un temps nouveau, de l’entrejambe à l’orteil, la chausse est magistrale. Du cuir, du jean, des tartans, des plis, une ampleur ; la jambe est magnifiée, la braguette retrouvée ou la cuisse nue une cerise sur le gâteau. Glenn Martens en déclinant cette pair superbe transforme l’allure et campe, sans distinction de corps, un bouillonné seigneurial, un pas performatif et héraldique. Un fétichisme sur-mesure.
Z
Zones érotiques
Du nom de la collection prêt-à-porter printemps été 1995, Vivienne Westwood explore sans détour les zones érogènes, et les prothèses possibles qui agitent, déplacent et transcendent la poitrine, les fesses, les hanches et genoux de femmes que la créatrice souhaite habiller de tournures et gardes robes expressives et très ajustées, transparentes et voluptueuses et plantées sur des escarpins de cimes, quelques badines ou toupets surmontés de chevelures et chapeaux dressés. Zone érogène totale de ces mannequins, sinon rien.
Zzzzzz (voir Drogue(s), Vampire)
Céline Mallet et Mathieu Buard, mars 2023.
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