Yvette Mairey Néliaz aka Dame Pipi
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Aux Souffleuses, à Paris, octobre_novembre 2024
Commissariat : Mathieu Buard
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Aux Souffleuses, à Paris, octobre_novembre 2024
Commissariat : Mathieu Buard
Les aspirateurs sont des éléphants sans défenses. Chausse-trappes.
LE HOULOC
12 - 16 avril 2024 - Aubervilliers
Co-commissariat :
Mathieu Buard & Tom Chatenet
Avec les artistes – With the artists :
Jeanne Briand @jeannebriand_setdesign
Tom Chatenet @tom_chatenet
Carina Emery @carinæmery
Jacent @jacent__
Agathe Jourdan @bal_affre
Mathis Pettenati @mathis.pettenati
Arto Van Hasselt @arto_vanhasselt
Xolo Cuintle @xolo_cuintle
Notes à l’intention du spectateur :
Les aspirateurs sont des éléphants sans défenses.
Chausse-trappes.
Nous, nous sommes entourés d’objet. L’autre jour, je marchais dans la rue et je me demandais combien d’objets me séparaient de la terre. Toutes ces couches qui ont rendu le contact entre nous et le monde extérieur de plus en plus distant.
Dans ce fatras cosmique, par instinct de survie, les objets pris à revers s’organisent en constellations polysémiques. Ces traces formelles nous amènent à configurer les choses comme telles :
Le creux d’une main s’est transformé en bol - L’objet est le pas de deux.
Les écouteurs ont perdu progressivement leur fils - L’objet est (la clé de) la métamorphose.
Les pattes des chevaux se sont transformées en roues - L’objet est le sujet.
Les poumons des guépards ont pris la forme du réservoir à essence des motos - L’objet est une défiguration passagère.
Les aspirateurs sont des éléphants sans défenses - L’objet est la chose-trappe.
Les tableaux ont perdu leur cadre pendant que le carré noir sur fond blanc est devenu un iPhone 8. - L’obsolescence est une porte de l’imaginaire.
Et les plantes se sont mises à marcher. Chausse-trappes.
« Is it future or is it past ? » dirait le nain clé de Twin Peaks.
Et dans le même temps, animé et filié de quoi l’objet est-il encore le nom ? Le phénomène acoustique de l’écho dans le livre La naissance de la phrase de Bailly image ce questionnement : « Dès lors qu’une phrase s’invente, elle rejoue le scénario pourtant à jamais inconnu de la naissance du langage ».
Le temps des objets d’une exposition est-il celui de l’instant présent d’un seul modèle de réalité ? Est-ce la révélation d’un futur lointain où les objets présentés sont les messagers d’un horizon proche et pourtant inédit ? Sinon, le temps de l’accrochage ne figure-t-il pas seulement les oripeaux de gestes déjà joués, témoins réalisés d’un passé révolu, pleins d’us et d’âges ? L’exposition, semble assurément, par la multidimension et la synchronisation des antagonismes possibles, objets d’instants outrepassés par les décimales du décompte du temps, objets de quelques espaces concaténés sur eux-mêmes, la contrée où se réunissent ces couches de choses.
Si nous posons qu’objet est le terme qui désigne un médium, dans son intention et son application, l’objet artistique s’invente dans la reconfiguration de son état, de sa composition, de son sujet, dans ses sédimentations et ses outrages.
Co-écrit par Mathieu Buard et Tom Chatenet, en août 2023.
HORIZONS EXTRASOLAIRES
Avec les diplômés de master de l’École Duperré 2023
Commissariat : Mathieu Buard
“Horizons Extrasolaires” by @ecoleduperreparis 2023 Master Graduates
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Through these large ensembles, under the logic of hybrid and playful styles, the proposed conceptions question usual practices and logics.
The graduates behind these visions invite you to deviate.
The exhibition invites you to bend the edges and encounter these beautiful arts of living.
Image_Editorial, Mode_Collections & Prospective_art de vivre at Ecole Duperré Paris.
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Opening : July 11, 6pm - 10pm
Exhibition : July 12 - 16, 11am - 7pm
Ground floor & underground -1 - Free entry
TEMPLE TOUR - JAPAN EXP_ÉDITION
TATA_BOOKSHOP
3 - 7 mai 2023 - Tokyo
TEMPLE MADE IN JAPON LAUNCH HIS NEW ISSUE IN TOKYO WITH A SHORT EXHIBITION OF ARTISTS WE HAVE EDITED IN THE MAGAZINE.
I’M PROUD TO PRESENT AS IT TAKE.
AS A LOW SKYLINE INTO A ROOM.
PLEASE, BEND OVER.
PLEASE, WATCH THOSE FETISHIZED DELICACIES.
PLEASE, ENJOY.
PLEASE, BEND OVER.
PLEASE, DON’T TAKE THE WHIP.
WELL, USE IT.
Commissariat – Curator :
Mathieu Buard
Avec les artistes – With the artists :
Jeremy Benkemoun
Adabana Bloom
Salomé Chatriot
Tom Chatenet
Émile Kirsch
Hanayo
Marianne Marić
Gaspar Willmann
Directrices Éditoriales de Temple Magazine –
Temple Magazine editorial directors :
Margaux Sartirano
Anaïs Allias
ÉMILE KIRSCH
Commissariat : Mathieu Buard
TÉAT CHAMP FLEURI, Saint-Denis, Île de la Réunion
Du 21 avril 2023 au 1er juillet 2023
« Hâte-toi de transmettre Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. »
René Char, Commune présence, in Le Marteau sans maître (1934-1935)
« Mille et un visages, une œuvre : Brut Collectif est l'exploration d'un génie commun qui célèbre la transition permanente. L'artiste Émile Kirsch propose avec cette œuvre en extension l'expérience de la métamorphose au cœur d'un geste collectif, transformant l'image de soi en expérimentation, l'identité en multitude.
Depuis cinq années, Émile Kirsch réunit avec Brut Collectif plusieurs milliers d'adolescent•e•s, leur permettant de s'exprimer et de se représenter autrement. D'ateliers en ateliers, il déploie un protocole artistique qui les accompagne à se mettre en scène dans des portraits photographiques qu'elles•ils utilisent par la suite pour transformer leur image avec des craies et des pastels colorés.
De Mayotte à la Réunion, en passant par La Nouvelle-Orléans et une cité scolaire de 1347 élèves dans la Marne, les portraits réalisés par l'artiste avec les adolescent•e•s témoignent d'une rencontre engagée et universelle. À ses côtés, elles•ils s'inventent de nouveaux visages, révélant une infinité de possibles et de mondes communs. Brut Collectif s'augmente et se métamorphose à chaque nouvel atelier et à chaque image créée.
L'exposition « Communes présences » s'installe dans un théâtre, espace par excellence où l'on peut faire l'expérience de soi dans l'autre, et de l'autre en soi. Cette galerie de portraits offre le spectacle d'une génération et de sa puissance créative spontanée. L'énergie du geste des adolescent•e•s déborde les cadres et investit les marges. »
Émile Kirsch, avril 2023.
Remerciements à Pascal Montrouge & Bernard Faille pour l’invitation, l’équipe du TÉAT Champ Fleuri, Aurélie Lefrançois et sa classe à l'école Alix Elma de Bois-Blanc, Fabien Vignal et ses classes au collège Thérésien Cadet, Julia Daka et l’association Sadaka, toutes les institutions, associations, bénévoles et personnes impliquées depuis le début de Brut Collectif.
DANSER L'IMAGE
Commissariat : Mathieu Buard
Fantasmagorie muséale, « Dancing on the edge »
Danser l’image. Le Ballet national de Marseille direction (LA)HORDE, propose l’exploration d’un récit atmosphérique, d’une excursion fictionnelle plutôt que la reconstitution chronologique d’une histoire suspendue au réel. La dimension cinématographique construit les plans, le mannequinage[3] – fait de postures expressives –, accompagne la physicalité des costumes et ordonnance le vestiaire de la danse qui est au centre de l’accrochage. L’ensemble est porté par la volonté d’un sentiment cinétique. L’exposition joue au bord de l’installation, entre la dimension spectaculaire d’une reconstitution paradoxalement vivante et l’esprit du musée.
Entre period room, white cube et storage, entre théâtre et archive, les médiums de la danse gravitent autour des costumes, et tracent le récit multiple du Ballet. Le projet curatorial déploie la vision d’une danse contemporaine comprise comme direction artistique, images éditoriales et filmées, hybridité des domaines de la création, fidèle à l’esprit du BNM. Une logique transhistorique initie des catégories de costumes et de documentations, des mouvements et des poses : un stylisme de costumes fait de scènes de vie à l’étrangeté explicite.
Les costumes témoignent aussi, en creux, de l’évolution du statut des corps du Ballet par les expressions d’un dansé habillé, qui du costume au quasi non-costume retrace une histoire de la portabilité, du confort, de la performance physique.
L’exposition Danser l’image est le récit contemporain de l’institution à la manière d’un synopsis de film, où le spectateur est invité à traverser de multiples temporalités et atmosphères pour en comprendre le patrimoine comme la puissance créative et visuelle.
WIP
IN&OUT
Commissariat : Mathieu Buard
Au 35-37, Rue des Francs Bourgeois, Paris
Temple Magazine – novembre 2018
Un certain goût de polythéisme
Ce qui est beau, avec le polythéisme, c’est la manufacture joyeuse d’un panthéon, aussi précis que crétin, aussi savant que simplet d’un ensemble de formes et formats qui s’agrègent et qui, circulant autour de l’auteur qui les collectionne, ces belles monstruosités, ces électives divinités, construisent un paysage transversal, une ligne de crête singulière. Sans hiérarchie particulière, les objets croisent les images, les matières deviennent sujets, les genres, s’il l’on peut encore les nommer sans fabriquer de sous catégories et déclinaisons forcées. Ces « choses », donc, gravitent et se métamorphosent pour définir, bien que le terme soit galvaudé, « un art de vivre », un écho sans narcisse, d’une pratique actuelle que nous proposons ici ; celles des glissements et des vertébrations ouvertes. Tout est dit.
Mais alors, en ce Temple dédié, l’auteur, pour ne pas dire l’artiste, l’ensemblier, le set designer, le photographe, l’illustrateur, le commissaire, le peintre, le sculpteur, le styliste est persona coquin, acteur d’une pratique multiple évoquée auparavant, traversé d’une pluralité de gestes et de savoir-faire, volontairement sans nature dominante, il est animé par l’envie de produire, non pas seulement l’air du temps, mais l’alchimie des assemblages. Chacun étant l’un puis l’autre, l’un et l’autre, déterminant finalement ce qui semble être à régler : sa position. Un fine tuning ?
Ce Temple est bâti, sur la nature ouverte de la matière, de son énergie prolixe, d’un engagement par les bords, à la grâce et la merci du maître des labilités. De quoi renouveler certains frontispices et faire siffler amoureusement les muses punks, gentiment transgressives, d’une origine retrouvée de toute chose dans un jus local. Ce bâtiment est décoratif, ornemental et premier - nous y reviendrons. Faire, ici, est l’objet. Et de trouver les bons moyens, plastiques et énergiques, sans préconception ni primat hylémorphique de la forme sur la matière inerte. Fine process ? Oui.
Et si l’on considère le Temple comme un art de vivre, comme la manière, de fixer pour un temps, dans le sérieux comme dans la pantomime, dans l’analogique comme dans le software, des milieux antagonistes, on comprendra finalement que ce qui fait le sel et le divin, c’est la mode. Grande déesse des changements et des exclusifs. Mais attention, passez l’astuce, ce n’est pas celle des vestiaires et des vêtures, cette mode dont Temple parle est celle qui définie, polymorphe, toute qualité aux choses, maîtresse des élégances et des environnements, jouisseuse des irruptions et des continuités : belle Athéna Niké.
« Pattern and decoration » dit du groupe qui influence crûment la biennale de Venise en 1979. Memphis et d’autres voient, alors, dans ce mouvement d’artistes émancipés d’un goût mesuré, les qualités comme l’autorisation à décrire et peindre des éléments ornementaux dans la saturation, la joie et les détournements les plus sensuels. Là, encore, motif et décoration, comme transgressivité simple. Mais pourquoi n’y avait-on pas pensé ! Critique, de guerre lasse oui, badinage crade, bien sûr, éloquente et proximique fussent-elles rudes, oui encore. Là, chez « P&D », les objets mobiliers sont picturaux fakes, les tableaux sont des imprimés jetés, encore, le rejeu des matériaux excédent les médiums… Un panthéon épris de local et de global, aux morphismes toujours plus agiles. Ici, l’éditorial Temple monte les abords d’une série similaire de murs aux vitraux polychromes, d’une lanterne magique en forme d’hétérogène qui dit « les formes changées en nouveaux corps », réponse sans question à « P&D ». Loin du monomoderne, l’éloge de son contraire.
Des corps mous et inertes, des croyants, des badauds, des fidèles, ce lectorat accompli doit se saisir du panthéon ainsi constitué qui relate le plaisir des écarts, qui d’Ovide à Ballard, de l’informe à l’exforme dessine en décloisonnant le regard terrible et pourtant pugnace d’un classicisme moderne. Mais alors, croyants, adeptes, fidèles, ce qui se donne à voir ici, certes pense son public, mais sans précaution d’usage, demandant à chacun de mettre une combinaison de chantier et de parcourir comme de déplier ces collages sauvages, au risque d’éclaboussures. Quoi, un dégoût ? N’y revenons pas. Du goût pour le trop, le coulissant, le refait, l’hyper et le tendu.
« Temple est panthéon, Panthéon est temple », synonymie réelle et principe de vase communicant, encore et enfin comme une figure analogue à la culture numérique - tant dans ses formes que ses référents - de notre contemporain, celui dont on se plaît à se plaindre. Le « plurivers » associe alors sans feindre les amalgames et les associations libres. La matière numérique, elle, ductile et grasse, sans format, se cristallise, dans un écoulement bachelardien. Du flux médiatique ? D’un son, poétique sans doute, dans une perspective baudelairienne, de celle qui parachève la diversité du grand plaisir d’un Parnasse complexe donc manifestement incomplet.
Mathieu Buard,
Paris,
novembre 2018
« Rodolphe ne saisissait pas le sens de tout ceci. Mais une fois qu’il eut bien observé les scènes de ce vert paysage, il pensa que, si ce n’était pas la dame qu’il avait secourue dans les bois que l’auteur de cette tapisserie avait représentée sous les traits de la jeune femme, il ne pouvait s’agir que de sa sœur jumelle. 1 »
Là, dans cette perspective atmosphérique, pliée en trois pans, où des cieux d’aube et d’aurore, sans conteste ovidiens, indistinctement, constituent le dehors, il est question de mise en orbite. Le cadre velouté, l’espace creux, la parade des volutes gazeuses annoncent un commencement théâtral, extatique. Dramaturgie baroque du regard où, ce qui est scruté comme ce qui scrute, offert l’un à l’autre, l’un pour l’autre surtout, rejoue une scène, sans démordre, mème ininterrompu, modèle d’une constellation bien ordonnée qui déroule la mécanique de ses astres en miroir, indéfiniment, sans jamais parvenir à la stase d’une satisfaction ; l’orgasme manqué.
A priori, ici, nulle fontaine ni source d’abondance, plutôt trois stations orbitales. La paupière vibrante, palpitante mais close, qui occulte le visible, et bien qu’empêché de l’instant se produit sur le fond de l’œil une fantaisie érotique, cinémascope fractal ou polyptique frontal de souvenirs et futurs tout à la fois synchronisés, les tableaux. Ailleurs, la paupière étirée, le voyeur s’exerce, du beau milieu de l’iris, insatiable et scrutateur, scalpel intraitable qui détaille sans fin, à la recherche d’une réponse perdue, à terre. Enfin, mouillée, lacrymale, miroir du monde, la paupière molle, la vision s’exerce comme un reflet, ni seulement narcisse ni complet contentement mais peut être révélation métaphysique. L’œil se dresse et flotte, sans patience, il n’est pas seul. L’autre de la représentation, qui parfait un monde plat, polythéiste et réversible, est là. L’écran transparent et Janus de la caméra agile, double dangereux, rival.
Antoine Carbonne peint un monde de projections douces, phantasmes diffusés et traduits et visions éblouies, spectacle fluide du statut de l’image, de sa pluralité, érotique surement, mais surtout volatile, de celle qui gravite, circule et fuite ; de celle qui s’oublie, numérique et fugitive, mais que la peinture comme la toile retiennent, dominatrices, reprennent, solidifient et hallucinent. Dans les sprays et les fluides picturaux, dans les traits soyeux et les matières tactiles, une série de fragments de corps répondent à la lancinante question du désir, spectral. Trois yeux, quatre femmes. Pulsion scopique sur pulsion tactile. La volonté affamée du voir joute contre tout, contre celle d’une volonté débordante du plaisir de faire. L’espace pictural engagé ici est une fontaine de jouvence, l’inlassable lieu d’une attraction, la source d’abondance coquine tirée d’un seul et même trait : le ruisseau pictural et charnel. La matière plastique, elle, érogène, vaporeuse et languide, s’énonce comme une fragrance et une fresque à la fois, homérique. Image dans et sur l’image, le regard s’abîme, cycliquement.
Dans ces verdures de nuages, la place du spectateur n’est autre que celle d’un satellite qui à distance, sans nulle doute voyeur à son heure, observe la tension magnétique de l’œil et de l’objet du désir, de la relation complexe qu’entretiennent la forme et la perception, la captation et l’impression. Inlassablement, l’histoire de l’œil se rejoue, au delà de la pulsion, c’est le niveau d’une résolution, une définition, une netteté d’affichage finalement comme une abstraction fabriquée, sans juge ni maître, que le peintre triture, plote dans ces quatre représentations érotisées autant que dans l’œil exorbité, photographe et écran. Ce fond de cieux d’Eden, pastorale en fresque, comme tout décor dit le monde, lui, c’est-à-dire qu’il décrit sans ambages mais avec douceur les relations d’entre les choses, et relativise la préciosité cassante des dialectiques trop exclusives : l’œil jouit, tant mieux, il n’est pas le seul.
« Qu’est le ruisseau, sinon le site gracieux où nous avons vu son eau s’enfuir sous l’ombrage des trembles, où nous avons vu se balancer ses herbes serpentines et frémir les joncs de ses îlots ? La berge fleurie où nous aimions à nous étendre au soleil (…) l’angle du rocher d’où la masse unie plonge en cascade et se brise en écume, la source bouillonnante, voilà ce qui dans est notre souvenir le ruisseau presque tout entier. 2 »
Mathieu Buard, décembre 2017.
1 William Morris, La Source au bout du monde, Editions aux Forges de Vulcain, 2016, p 81.
2 Elisée Reclus, L’histoire d’un ruisseau, Edition Babel Actes Sud, 1995, p 8.
Galerie Alain Gutarc, Paris
« Il pensait quant à lui que le poème précède le navire, comme le Père est avant le Fils ; (…). Le regardant, j’insinuai qu’à la mer et aux langues j’ajouterais les foules, et au navire, au poème, les hommes remarquables, les puissants dont les noms résonnent comme des vers, sont de loin visibles comme des voiles. » Pierre Michon, L’Empereur d’Occident*
Il est donc question de héros nouveaux, non pas d’Ulysse cette fois, mais d’autres hommes. De prouesses et de virtuosités, de cette force de lier le destin à la foudre des actes réussis. Il n’est pas question de héros classiques, ou de façon incertaine encore, puisqu’ici repose le récit d’une singularité de forces, de caractères imbattables et auteurs, où résident, dans l’immense dépassement d’une accoutumée domination, de société et de mœurs, l’histoire semblable de trois hommes puissants.
Ithaque, c’est l’Occident gagné. Celui conquit loyalement par des chevaliers à leurs manières, par le style, l’arme et la politique et dont la communauté de particularité repose toute de cette créolité de départ. Chevalier Saint Georges, l’épée flirtant avec et pour la cour de France, Thomas Alexandre Dumas, Toussaint Louverture survolté, filiations d’autres encore dont le destin se lie pour un temps aux ors des régimes d’empires et qui forcent, au contemporain révolutionnaire, le respect d’un continent.
Des héros alors joyeux et jouisseurs. Vision positive ? Créolisée plutôt, comme l’alliage savant mais disputé d’une identité qui adopte le design dominant d’une société de cour, difficile. Le chemin de l’insulaire est celui d’un montage de cultures. D’une figure qui hybride, avec l’esprit des lumières, le combat et la fougue.
Back to Ithaque, seconde exposition de Raphaël Barontini chez Alain Gutharc, est le portrait enthousiaste d’une épopée magnifique de Guillaume Guillon de Léthière, du Chevalier Saint Georges, de Thomas Alexandre Dumas. De l’éclosion picturale sur de grandes formats textiles de ces fascinants héros d’Odyssée, auteurs et musiciens, reconnus pour un temps, le leur, et seuls pour longtemps encore dans l’histoire des histoires - premiers sinon précurseurs créatifs d’un épisode monumental du devenir créolisé du monde.
Alors, il est question d’allers et retours, de conquêtes à l’image. Il est question de rivages et de mers, d’océans et d’accès. Et de voiles de bateaux, tentures œuvres qui charrient ces corps, des formes, des identités et qui les débarquent modifiés du voyage, eux épris de victoire, vainqueurs de cyclope sans personne ou de colosses décomposés, insolés par une idole déesse. On y retrouve le bassin méditerranéen mythologique ; les histoires d’Ulysse et de barbares sont dans toutes les traversées, miroir divergent de la seule traversée – hétérotopique - vers l’ailleurs. De rappeler au présent que la pluralité fait monde, que les logiques sensibles sont faites de croisements, de médiations et de rencontres ambivalentes et bien moins de narcisses clos, de sujets sans génie, du définitif.
Entre souvenir et image de mythes, les œuvres de Raphaël Barontini détaillent et dressent les allures composées de ces héros réactualisés, dont le mode de représentation est le style, l’apparence appropriable et rejouée, iconographie de l’hétérogène, multi média, avec un désir ardant d’accoster le monde pour mieux remixer les heures, les genres et d’assurer par l’anachronisme des montages et des formes une exemplaire histoire de liberté. De l’impression, sérielle et sérigraphique, de multiplier les images encore, que la figure humaine construise l’affirmation et la récurrence des possibles, des diversités et des singularités. De ces portraits aussi, l’écho brutal des migrants contemporains, de ces bateaux qui traversent à péril et mort l’entre deux rives.
Les peintures de Raphaël Barontini, voiles tendues, textiles cousus, plaqués, transpercés, imprimés, disent cette pluralité héroïque. Les gammes colorées, les médiums et matériaux différents autant que les motifs polysémiques définissent une vision augmentée. L’horizon est pictural. L’opération réussit. Les toiles, libres, projettent l’espace dans un tout autre lieu. Le continent a besoin de l’insulaire comme l’insulaire gagne une terre plus vaste par aimantation.
Nulle réécriture prosélyte, mais le récit décomplexé d’une réelle interconnexion, d’une zone d’influence. L’océan, au milieu, sa fluidité, est la seule possibilité de cette rencontre. Le flux, les images et référents, l’accès aux détails, la perte de ce détail même, la densité des strates et des couches, le frottement dans l’œil par réduction et superposition… C’est de tout cela dont se compose l’océan atmosphérique de cette présentation de portraits peints par Raphaël Barontini. Solarisé, écran et miroir, les œuvres sont l’imposition de figures qui trônent à contre jour, le sable est brulé, le soleil négatif diffuse ses radiations invisibles, qui comme l’affichage digital, vibre.
L’héroïque insulaire, lui, est pris dans la mer de ses reflets, séduit. Il est merveilleux, il réside ici. Sur l’une ou l’autre des rives.
Le 1 septembre 2017,
Mathieu Buard
*Pierre Michon, L’Empereur d’Occident, Verdier poche, 2007, p.13