A
Andropause
Si les muses et belles y sont, par un fatal oracle aux abords de l’adolescence, prévenues, les apollons et autres stentors ne goutent guère l’idée de la limite hormonale, d’une température variable et d’autres gains de poignées palpables. Des saisons le corps est ainsi le théâtre, dont le dénouement est universel et masculin hélas. L’affaissement, la décrépitude et le dégarnissement s’y engagent, héros pathétiques d’un âge qui se décompte. À rebours de l’énergie électrique de l’adolescent dont parle Houellebecq, le capitaine d’industrie viril est lui aussi sujet au caduc moment de l’andropause. La mode, elle, aura dans le vingtième siècle puis dans le suivant, décidé d’en faire fi et de penser des corps d’une insolente jouvence. d’Helmut Lang à Raf Simons, de Margiela à Dior, le jeune homme est l’anti vieillissement, le corps fin et agile du prêt-à-porter. Esthétique d’un corps qui, chez Jean Patou, Claire McCardell et consort, prenait déjà la tournure d’une évidence pour la gente féminine dès 1930. Du prêt-à-porter à son obsolescence, le corps comme le vêtement sont de passage.
Anachronismes
On peut penser que l’ordre des collections s’organise de façon très naturelle ou « géographicosaisonnière », mais si l’on observe de près les formes créées ou que l’on s’intéresse aux thématiques abordées lors des présentations, défilés et croisières, l’on constate finalement que les référents et sujets de style soutenus dans les collections ne répondent que bien peu au temps, à l’espace et que bien souvent plutôt, non contente d’être une vision utopiste sinon idéale d’une beauté ordonnée, fusse-t-elle disharmonieuse, ce qui frappe avec la mode donc, c’est le caractère anachronique que prend l’objet de la collection. La mode est un contretemps, une uchronie fondamentalement culturelle. Gucci avec Michele, Balenciaga avec Gsavalia, Jacquemus avec la grande méditerranée revisitée, Westwood avec les pirates aristocratiques… Tous ces créateurs présentent des vocabulaires dont le point commun, loin de savoir si le motif est canard ou si le logotype usagé domine, est une prise à revers spatio-temporelle et donc en rupture avec le moment familier et commun.
Le rythme du retail lui propose des ajustements d’articles les plus agressivement calqués sur les variations de l’application météo marquée d’incertitude…
Monade magique, la vitrine seule, dans sa concordance des temps ajustée, résout une partie de ce temps futur perdu et de ce présent retrouvé.
Automne
« À l’âge de cinquante-cinq ans, Gabrielle Chanel est à l’apogée de sa beauté. Ses traits et sa silhouette se sont encore affinés, jamais elle ne s’est habillée avec plus d’invention et de perfection, jamais elle n’a été plus admirée, plus recherchée. »
Le Temps Chanel, Edmonde Charles-Roux, Editions de la Martinière
« Mercredi 23 juillet
Edith Sitwell est devenue énorme, se poudre généreusement, se met sur les ongles un vernis argent, porte un turban et ressemble à un éléphant d’ivoire ou à l’empereur Héliogabale. Je n’ai jamais vu un changement pareil. Elle est mûre, majestueuse. Elle est monumentale. »
Virginia Woolf - Journal intégral 1915 1941- éditions Stock - page 827
Avion
Voyager en avion n’est pas exempt de dangers : outre les contrôles de sécurité et leurs séances de strip-tease drastiques, menacent l’inconfort d’une éventuelle classe économique, la pression dans l’habitacle de la cabine qui fait la jambe lourde, l’air climatisé sec et froid. Puis il y a la désagréable perspective du décalage horaire, le choc thermique à l’arrivée comme ultime ou premier trauma. Les conseils quant à la meilleure tenue à adopter en vol long courrier abondent aujourd’hui dans le sens d’une même allure basique et fluide, confort et tout terrain : qu’elles soit legging, jogging voire pyjama, toutes les variantes du pantalon slim et molletonné sont plébiscitées pour le bas, pendant que le haut se déploie dans une même sphère pratique, soutien-gorge brassière si il y a lieu, sous les amples t-shirts et sweats de rigueur. Les bijoux et breloques ayant été relégués en soute, reste la qualité de la matière pour se démarquer : soie plutôt que coton, ou le cachemire d’une grande étole dans laquelle se protéger durablement. Les sneakers sont inévitables. Ainsi que les yeux masqués ou lunettés pour sombrer, enfin, in utero… Loin du tarmac, les podiums ne serviraient-ils qu’un moment de style excentrique ? En pratique, les impératifs de l’avion signent à l’évidence la tenue mondiale.
B
Bagagerie
Qu’il faille se parer, lors des longues nuits étirées de long drinks sur les côtes et dans les villas des stations balnéaires, suppose de se déplacer avec ses atours. La bagagerie, version appliquée du sac aux déplacements modernes en avion, en bateau, en voiture; et le format réduit des malles d’antan pluggées sur les carrosses attelés (qu’évoque le beau texte de Darwin fils, dans l’évolution dans le vêtement), la bagagerie donc, fait partie des accessoires du luxe avant d’être l’apanage des parures de mode. Gucci, Prada, Louis Vuitton tirent leurs patrimoine de ces héritages de sacs de voyage, weekend puis baisenville. Le voyage, l’art du mouvement, le tourisme obligent donc à avoir recours à ce complément qui agrémente la vie de son nécessaire, et parfait le lifestyle dont Diana Vreeland nous explique dans ses éditos le bon sens pratique. Le voyage, le sac, la vie.
voir : Darwin, Diana Vreeland
Beau, bel, belle, Baudelaire
« Tout auteur doit inventer un poncif, disait Baudelaire « il faut que je crée un poncif » : eh bien, pour moi, c’est fait. Bourdieu dit très joliment que le rôle de l’écrivain est un rôle de pirate. Il rappelle l’étymologie du mot pirate. Peiratès, c’est celui qui tente un coup, qui essaie, qui essaie d’éviter. L’écrivain a un rôle de pirate qui évite les écueils que sont les lieux communs. Cet évitement est l’impératif de l’écriture dite littéraire. Barthes comme d’autres évitaient en leur temps les lieux communs de leur temps. Ils changent sans arrêt, plus vite que jamais maintenant, avec le grand Communicant.
Eviter les lieux communs - pour transporter quoi ?
La littérature du demain. Celle qui contrarie l’aujourd’hui. »
Pierre Michon, Le roi vient quand il veut, Edition Albin Michel, 2016, p. 323.
Biarritz
Biarritz, Cannes, Venise auront été, à l’orée de la modernité, les lieux de villégiature sinon le théâtre mondain des premiers jeux des maisons de Couture qui, avec pignon sur plage ou canaux, distribueront les modèles que Jeanne Lanvin, Paul Poiret, Mariano Fortuny auront conçus dans une logique saisonnière… D’emblée, la pensée sportswear, ou sinon celle d’un certain confort digne, vient bousculer la conception du modèle vestimentaire. De la boutique à sa communication, la maison de mode, dotée d’une signature de créateur, déploie un lifestyle balnéaire, transatlantique, et donc le goût pour une allure rapide, légère et dynamique. Il en ira de même pour l’hiver. À Biarritz ou à Saint Moritz, le loisir des éphémérides inventera pour partie les rythmes et systèmes des collections, croisières ou défilés contemporains. On pense ici aussi à l’hommage atlantique de Sébastien Tellier, sexualité, d’un « Biarritz en été… »…
Bikini
Ou minimum sur les plages d’Héliopolis (Côte d’Azur), le Bikini est le dernier rempart à la nudité, à la bienséance et sonne l’heure du court, du Yeye et d’un certain Swinging London. Au delà de la presque tenue d’Eve, ce qui est frappant avec le bikini comme avec la mini jupe, ou le legging et body de jersey ou de nylon, c’est la joie toute puissante d’une libération des usages et des mœurs, dont toute une génération se saisit pour exprimer l’avénement d’un contemporain aisé, insouciant mais optimiste, léger et futuriste. De là, Twiggy, Vidal Sassoon, Courrèges et Rabanne, sinon l’éponyme Blow up d’Antonioni.
Boy (saison des amours)
La mode de Gabrielle Chanel, épousant sa vie, évolue au rythme des lieux, des opportunités et des amants. Il y a la saison balbutiante avec la cavalier Etienne Balsan, l’opulent moment russe au côté de Dimitri Pavlovitch, la saison anglaise aux must chic et sportswear en l’illustre compagnie du Duc de Westminster. Il y a le temps des costumes avec Paul Iribe et Luchino Visconti, mais encore la morte saison des désordres d’après guerre, pour payer une liaison trouble avec Hans Gunther Von Dincklage… Mais le printemps de Gabrielle, c’est l’anglais Arthur Capel, dit Boy, qui l’aura incarné, offrant à la jeune femme, en temps et en heure, argent, confiance, liberté d’entreprendre et boutiques à Deauville, Biarritz, Paris. Boy est lui-même aventurier, conquérant, brillant, rapide; sportif et beau. Il est l’alter ego de cette femme de tête et d’affaires. Sa mort accidentelle, en voiture, nécessairement violente, est le drame d’amour dont on ne se remet pas. Une photographie prise à Saint Jean de Luz en 1915 montre les deux complices en tenue de bain, allongés coude à coude, sauvages et désinvoltes : deux enfants du siècle, et le cliché irrésistible d’une séduction androgyne au long cours.
Bronzage
Très lié au bikini et à ses crèmes anti U.V connexes, le bronzage est longtemps l’apanage du paysan, marqué des empreintes du soleil comme des peines saisonnières que l’agricole activité lui inflige. Puis, soudain, lorsque les loisirs balnéaires ou la pratique du ski dans les alpes neigeuses font du mouvement, de la vitesse et du sport un must, les maillots de bains et l’hygiène au grand air indiquent qu’un ramage doré est le signe extérieur d’une vie faite d’aisances et de plaisirs. Qu’il en soit ainsi, le bronzage, joie et chaleur, sera l’allure contemporaine d’une nouvelle classe active. Viendront plus tard les cabines de bronzage et leurs gammes de couleurs plutôt orangées, cuivres ardants, médiatiques, précisément surexposés. Pour l’exemple quelques amateurs : Giorgio Armani, Donatella Versace, Marc Jacobs, Silvio Berlusconi… D’autres en revanche, au grand jamais or et bons vampires, souhaitent garder le privilège vissé d’une peau laiteuse ou diaphane : Karl Lagarfeld, Hedi Slimane, Raf Simons… Au milieu et en même temps, Kate Moss par Juergen Teller, soleil et idole.
C
Cannes (et festival)
Fleur fanée sitôt éclose, la robe cocktail est l’éphémère, du red carpet au marché cannois … Qui porterait une seconde fois ce gant devenu oripeau ? Le diable, en Prada ou pas, jamais.
Coney Island
Pointe sud sud-est new-yorkaise, à l’ouest d’Eden donc, Coney Island est. Si bien commenté par Rem Koolhaas, ce lieu de divertissement créé à la fin du XIXème siècle organise les jeux du peuple avec les moyens médiatiques et techniques pléthoriques de l’époque. Ile waterproof mais pas ignifugée, Coney Island est une lieu de ballade du dimanche, populaire en été pour ses attractions et ses fast food, take away précurseurs qui enjoignent le visiteur à transporter avec lui son repas pour mieux jouir du présent et de la plage. Coney island est l’idée d’un havre de loisirs joyeux et espiègles, où la foule endimanchée fuit la ville monde. Dans le même temps, les Hamptons, au nord-est de NYC, deviendront le havre de villégiature d’une classe sociale aisée; un Ralph Lauren en assure le mythe tardif et le totem quasi-phallique. Des jeux et des larmes (de rire) sur la côte est, américan way of life.
Croisière (un problème de type grec)
Le Costa Concordia peut bien faire naufrage, la collection croisière initiée depuis quelques années par l’industrie du Luxe parade pour le beau mois de mai, portée par les agréables exigences de la villégiature et l’idée du voyage dans sa version la plus sélective, puisqu'elle est une réminiscence des collections sportives et de plage conçues dès les années 20 par un Jean Patou, ou une Gabrielle Chanel, à destination d’une élite amatrice de loisirs et de grand air.
Dans le désordre climatique actuel ambiant, qui plus est aggravé par les trajets au kérosène déréglant la planète en circuits affolés, le vestiaire mi-saison de la collection croisière s’offre désormais comme un compromis désirable, et qui sait entretenir le spectacle à Dubai, Séoul, Kyoto ou Rio, comme alimenter le recyclage permanent de la fast fashion avide de modèles.
En 2018, le défilé croisière signé de la Maison Chanel reconstituait quelque chose comme le Parthénon sous la cloche imposante du Grand Palais parisien : décor à grand budget en forme d’hommage à la Grèce éternelle, « où, dixit Karl Lagerfeld, l’on a jamais fait de plus belles silhouettes de femmes », et parce que « l’Antiquité, c’est vraiment la jeunesse du monde, puissante et imprévisible, comme leurs dieux qui ne pardonnent pas. »* Odyssée ? Dans un monde étrange, où jamais ne se croisent les belles en drapés libres des podiums, et les exilés tragiques qui secouent de leur malheur les quatre coins de la Méditerranée.
*http ://www.numero.com/fr/fashionweek/mode-chanel-collection-croisiere-2017-2018-grece-inspiration-karl-lagerfeld-grand-palais-paris-
Cardin Pierre (1922 - )
Dans les années 60 la jeunesse d’après guerre se conjugue au futur; l’eldorado est une étoile, et le seule saison désirable la saison lunaire, dont l’étrangeté radicale est sans doute seule à même d’incarner le désir de renouveau porté par des jeunes gens d’abord soucieux de ficher par dessus bord les spectres gris d’un siècle bien amoché. Chez Cardin le corps est svelte, androgyne, mobile; et le vêtement une carapace synthétique légère à toute épreuve, épurée, vivement colorée. Is there life on Mars ? Après viendront les licences, et les seventies décadentes.
D
Didion Joan
« In New Orleans in June the air is heavy with sex and death, not violent death but death by decay, overripeness, rotting, death by drowning, suffocation, fever of unknown etiology. The place is physacally dark, dark like the negative of a photograph, dark like an X-ray : the atmosphere absorbs its own light, never reflects light but sucks it until random objects glow with a morbid luminescence. »
Joan Didion, South and west, Edition Alfref A. Knopf, 2017, p.5-6
Dandy
Personnage symptomatique d’un dérèglement climatique et spatio-temporel, le dandy est un être de paradoxe et de léger déni, qui ne s’attache jamais à s’accorder à son contexte ni à s’en soucier d’ailleurs, et qui est porté intimement par des températures sinon par un caractère exote, qui n’est ici ou là que de passage et choisit pour uniforme un costume unique_allure qui ne passe nulle part donc partout. Cette hyper singularité semble ainsi déclamer l’être hors saison.
Darwin & fils
Dans une suite brillante de raisonnements, le neveu de Darwin expose l’évolution du vêtement par la belle course poursuite que l’homme se joue, au regard de ses déplacements, de ses petits pas qui progressivement relient les villes, les contrées et les exotourismes. Fracs et tournures ne résisteront pas à la révolution des transports et à ce désir de mobilité. Train, avion, voiture, dans ce monde de mouvements pré-futuristes fruit d’une saison moderne, le vestiaire ou disons le vêtement, fusse-t-il interprété comme fonctionnel, se métamorphose.
Doudoune par Moncler
Si la mode contemporaine est au sportswear, au wearable et au simple but expansive, les doudounes logotypées, matelassées ou tout simplement fourrées sont l’éloge de ce life style. Chaudes et métalliques d’aspect, la marque Moncler fait de l’accessoire de sport, veste ou combinaison de ski, un must, renouveau d’un produit déjà ultra vendu et compassé par Uniqlo dans une autre fourchette de prix et de plumes… Les collaborations « House of Genius » avec Craig Green ou d’autres assurent un retail à la demande, selon les vœux pieux du PDG. On peut noter la force des campagnes éditoriales de Moncler, qui où que l’on soit en ce bas monde, avec Liu Bolin et Annie Leibovitz amicalement, nous aident à nous confondre avec Dame nature ; camouflage heureux d’une vie résolument réchauffée, images qui font envisager le produit technique comme un accessoire de mode.
Duvet
Petites plumes tendres que l’on peut caresser sous le ventre ou l’aile des oiseaux; poils fins et doux des pelages animaux. Quant au genre humain, l’épiderme mâle peut accueillir le poil hirsute comme gage de virilité mais l’épiderme femelle se doit d’être lisse ou glabre : toute promotion intempestive du poil, toute ombre même ténue sous l’aisselle, le mollet, au-dessus de la lèvre, seront fortement soupçonnés chez la femme d’un ensauvagement de mauvais aloi, ayant qui plus est le toupet de vouloir s’approprier les appâts du sexe fort. N’en déplaise donc à Patti Smith et à la femme à barbe, le duvet féminin est strictement circonscrit, taillé, idéalement épilé… Mais de fait il fait un peu plus froid. Magnanime, Martin Margiela s’empare dans les années 2000 de l’autre duvet, l’édredon de lit rempli de plumes, et lui appose simplement deux manches afin que ces dames puissent sortir en grande couverture douillette.
E
Ephéméride
Tel est le nom que porte la variation du temps, de l’écoulement des saisons et leur ritournelle. Ephéméride, cela pourrait être le blason des robes cocktails, de la fast fashion aussi, en somme de ce que l’on porte et détache de son calendrier chaque jour.
Exotourisme (2002)
Nom d’une œuvre de Dominique Gonzalez-Fœster, plasticienne des éphémérides et des synesthésies temporelles, exotourisme comme un mantra, témoigne d’une conscience d’un temps pluriel, diffracté, déréglé et suspendu, d’une tropicalisation qu’elle définit comme « une des possibilités de la métabolisation. (…) fertilité, le pouvoir d’une nouvelle conscience, quelque chose qui a ses propres désirs, sa propre croissance, organique et expressive. » Bloc de percepts, ces œuvres mondes deviennent, dans l’entretemps d’une collaboration avec Ghesquière, à cette même période, des Espace Balenciaga à Paris, Londres et New York. Capitales de mode ? Environnements assurément que Gonzalez-Fœrster exploitent comme des vitrines plurielles sans produit ni saison.
Extrait du catalogue programmatique de l’exposition Dominique Gonzalez-Fœster 1887 - 2058, Edition Centre Pompidou, 2015, p 201
Été (spécial beauté)
Ou la saison des injonctions contradictoires, prenant en filet les corps et le corps féminin. En paradis grec ou canaries la garde robe estivale file voluptueusement la métaphore d’une liberté retrouvée, mais l’empire cosmétique contre-attaque sans ambages, déployant dans les pages glacées des magazines une batterie sidérante de crèmes miracles et autres onguents sorciers. En mode moderne la beauté a ses spécialistes et ses médecins de la ligne, moins décadents libertaires qu’implacables spartiates. La nutrition est de pointe, les exercices de gymnastique sont ciblés, la méthode pour doper son énergie fractionnée. Et si les courbes s’avèrent de retour, ses dernières auront pris grand soin dès le printemps d’être fermes et toniques, pour s’exalter sans équivoque en micro maillot de sirène. Comme le titre en 2018 un célèbre hebdomadaire féminin français : « notre peau est émotive mais on a les solutions. »
F
Fantaisie
Maître mot de la haute couture, puis du prêt-à-porter, la fantaisie est le symptôme de la liberté créative chez Poiret, Saint Laurent, Margiela, Westwood, Owens, Gsavalia et consort. Elle apparait être le ressort ou moto intérieur des créateurs auteurs. Fantaisie comme manière de rapporter au monde réel une rêverie ou une vision supplémentaire qu’incarne le vêtement, le mannequin, le décor, l’esprit du temps et le lifestyle ainsi réunis.
Fleurs
Eternel motif, fantasque sujet de rêverie, poétique, essence de l’éphémère et de la séduction, la fleur est, en un sens, le calice des vertus cardinales d’un signe mondialisé et ce depuis et post l’homosapiens artiste. Oversize, liberty, mille fleurs, cette représentation ornementale est une abysse, l’eldorado d’une plénitude des agencements et nouveautés qui font mondes dans la peinture, la mode, l’art des jardins, l’art des bouquets et des vases … La fleur est infini.
«
Rose is a rose is a rose is a rose
»
Gertrude Stein, 1913
Fortuny Mariano
Ingénieur du textile aux plissés rares autant qu’indescriptibles par leurs lumières, inspirés des fluides sculptures à l’antique, coloriste du color block, scénographe et contemporain des techniques de pointe, pourfendeur des évolutions du monde et notamment de la photographie, Fortuny est une figure majeure du designer de mode. Comprenant les différents systèmes dans lesquels il joue, Mariano fait de ses compétences sensibles le terreau de l’applicabilité des matières, des formes, des mécaniques. Il est en somme à lui seul un oxymoron, dont les plissés clair obscur, les vêtements et motifs floraux pris entre culture et nature, l’allure féminine de cariatide hiératique sur corps contemporain agile agencent ces grands paradoxes, industrieux et virtuoses.
Fourrure
Plutôt claire pour les dames pendant la saison médiévale et plutôt sombre pour leurs rugueux seigneurs et possesseurs des forêts, qui jouissent exclusivement du droit de chasse. Le froid ne suffit pas seulement à justifier le port de la fourrure : elle est signe de pouvoir, d’opulence; et l’effet d’un transfert équivoque de l’homme sur la part animale, qu’il s’agit de maîtriser et transcender. À l’ère moderne cependant, la saison industrielle de la fourrure en aura écœuré quelques uns, lorsque les visons désormais élevés puis achevés en masse s’entassent dans l’indifférence anti-héroïque et l’horreur des entrepôts géants. Alors se payer le frisson d’un manteau de contrebande, en peau de bébé phoque au risque du lynchage, du courroux de la PETA ? La banquise fond à vue d’œil. Et en attendant le désordre météo, le fil et la fibre synthétiques font de petits miracles.
G
Gernreich Rudi
Esthète, danseur et créateur d’origine autrichienne exilé aux États-Unis, promoteur du monokini à destination de la jeunesse sexuelle et androgyne des années 60. Et d’autres formes provocantes : ainsi la culotte haute exaltant les seins nus ou le trikini au dessin exigeant venant enlacer la nudité du mannequin muse Peggy Moffitt, liane au visage lunaire et théâtral, les yeux ourlés de khôl, et icône d’une saison décomplexée et sorcière comme le chante célèbrement Donovan.
Grisaille
Quoi de plus beau, quoi de plus authentique sinon de plus naturel que la lumière grise du ciel « bas et lourd » déclamé par Baudelaire, ce magnifique parisien, pour exalter la mode, ses filles et ses allures. Si l’on excepte l’allégorique studio et ses artifices, où les saisons ne sont que la cosmétique interchangeable des lentilles colorées - Antonioni les filme par interposition dans Blow up - le gris le vrai le tatoué, c’est ce fond de ciel, photogénique, de la lumière de Paris. Grisaille chérie qui donne au photographique comme à toute pierre son éclat, à toute étoffe son chien. Et de la flaque, spleen liquide, le gris du ciel, que Gœthe théorise bien, reflète et étale son chariot de couleurs, chiffonnier joueur.
H
Haircut
Madame de Sévigné écrit les derniers caprices capillaires à sa fille adorée, exilée en province; La précieuse du dix-septième siècle se coiffe d’ailleurs à la Montespan, à la Mancini, à la Hurlupée. Le punk crache dans ses mains pour mieux plaquer sa crête iroquoise. Le chanteur Beck hallucine dans la chaleur de la côte ouest une coupe du diable providentielle… Signe de fertilité, de puissance, de beauté, la chevelure est aussi la carte mémoire de nos états d’âme. Mais pour la mode, le cheveu est une matière comme une autre, corvéable et ductile, sujette aux tendances, analysée par les experts, métamorphosée par les artistes du poil dont on se dispute les miracles dans la confidentialité des boudoirs. Le cheveu est souple en été, structuré en hiver, court en période de deuil, impitoyablement brushé pour le bal et la nuit. Et poudré, crépu, bouclé, ondulé, texturé, ciré, gélifié, shaggy, wavy, nappy. Jusqu’à la prochaine tocade, ou le changement drastique de vie.
Has been
Couleur passée, épaule trop large, fourche en baisse, motif ringard, matière dégueulasse, queue de rat, chaussure pointue. L’has been est le qualificatif du déclassement, l’appellation contrôlée d’une mise au ban. Ce qui est passé du in au out.
Bien souvent, on note que ce mouvement de décote s’impose par saturation, écœurement caractériel lié à l’hyper représentation d’un modèle. Las, les early adopters annoncent le be nouveau, le la du newcomer. Au risque du never been de cette tendance, c’est-à-dire de l’absence d’une adoption massive par le public.
I
Île
Paradis alternatif pour la génération hippie, qui y bulle en sandales et tunique antiques. Station pour la jet set internationale qui y étrenne ses yachts rutilants. Plateau pour toutes les déesses au bain du Vogue lorsqu’il se consacre aux libations de l’été. Et métaphore valant pour tout studio d’une maison de mode, dès lors que l’on le regarde comme une petite communauté indigène, au tempo éternellement décalé puisqu’il s’agit toujours d’anticiper la saison avenir; un asile et une utopie créative où s’ourdissent les secrets d’une fiction dont on verra le temps de quelques mois, les héros et les héroïnes en parures nouvelles et pirates partir à l’assaut des quatre continents.
In
L’in c’est l’être dans la saison, l’acmé adorée. Et ce déjà, sur la pente descendante, comme tout soleil qui se couche, comme toute fleur qui flétrit. In est un devenir Out.
« Nous savons que ce qui est un costume de rigueur aujourd’hui sera un déguisement dans vingt ans, et que nous considérons aujourd’hui comme ridicules ou grotesques les redingotes de nos aïeux. Seuls les militaires échappent à cette loi de nature, en raison du caractère auguste et vénéré de leurs fonctions… Il ne faut pas s’imaginer que chaque mode nouvelle est la consécration d’un type définitif de vêtement, qui doit remplacer pour toujours celui que l’on abandonne. C’est simplement une variante »
Paul Poiret, En habillant l’époque, Edition Grasset, 1930, p. 187-188
Ishop (ou E-shop ?)
Post échoppe, post vitrine, post grand magasin, post plv, post mall, post corner, post flagship et surtout néo retail, l’e-shop est une manière de diffuser par des canaux contemporains et médiatiques les marchandises et productions de la mode. La grande question, la seule, est celle de l’expérience, celle du client. Quelle aura à l’ère digitale pour une transaction empirique qui engage le luxe comme la possession ? Marc Zukerberg aura-t-il la réponse ?
J
Jersey
« En 1916, Chanel voulut trouver un tissu aussi proche que possible du tricot. Rodier, faute de mieux, lui soumit une marchandise qu’il jugeait inemployable : le jersey. C’était exactement ce qu’elle cherchait : du tricot fabriqué sur machine. Elle jura à Rodier que ce tissu allait conquérir le marché. »
Le Temps Chanel, Edmonde Charles-Roux, Editions de la Martinière
Jetlaged - Lost in translation
Largués et désorientés : un acteur venu faire la vedette pour une publicité et une étudiante en philosophie américains, Bob Harris et Charlotte, errent dans un Tokyo incompréhensible. Dans le film au sujet éminemment post moderne de la fin des années 90 intitulé « Lost in translation », le romantisme amer de Sofia Coppola tisse l’atmosphère nébuleuse d’un long déphasage. Ses héros en exil se calfeutrent en eux-mêmes, ou s’absorbent dans le halo indéchiffrable d’un néon au bord de la fenêtre écran d’un hôtel de luxe. Pour le poète Robert Frost, « pœtry is what gets lost in translation »… Mais reste t’il quelque chose à traduire lorsque tout ce qu’un étranger attend de vous est que vous fassiez la promotion d’un whisky ? Bill Murray et Scarlett Johansson font donc profil bas. Et le vestiaire suit : à peine une petite culotte ou une perruque rose poudré pour provoquer l’érotisme ou signifier la fête, sinon la ligne nette d’un petit manteau sombre APC pour poindre dans la foule_ avant de disparaitre… Quelques années plus tard, les jeunes gens emmenés par la maison Gucci elle même reprise avec faste et fracas baroque par Alessandro Michele, erreront à leur tour dans toutes les villes du monde pour les campagnes de la marque, mais cette fois dans des atours à l’éclectisme hautement bigarré : autre tournant post-moderne, ou la désorientation en forme de retraite minimale vire à l’affolement (mélancolique) de tous les langages.
K
Klein Calvin (1942 - )
Exemple type du ready-to-wear américain, pratique et minimal jusqu’à toucher une forme de radicalité, sexy et provocateur dans sa communication. La marque Calvin Klein s’impose depuis les années 80 comme l’industrie magique du corps rêvé de la jeunesse, une fabrique icônique qui aura très tôt imposé le corps forever teenage, svelte, glabre et poli de Kate Moss comme le modèle du siècle. La saison promue par CK est donc celle d’un unique printemps, chahuté par l’hyper individu new-yorkais, self-made man or woman et machine célibataire n’interagissant avec un groupe que sur un mode essentiellement sexuel; un printemps érotique et actif, athlète mais en salle, urbain et climatisé.
K-way
Modèle contemporain du vêtement qui opère un retour heureux à la mode, phénix de ces bois, le K-way est avant tout l’idée d’une matière et d’une forme efficace, utile et nécessaire, conçu dans les années 50. Comme la capote militaire redessinée par Paul Poiret en 1914 ou les uniformes de Cardin, Courrèges et Balenciaga pour les belles des flottes aéroportées nationales, il répond à une question d’époque. Le K-way est un vêtement de pluie, imperméable, synthétique, léger, hygiénique, qui a pour particularité d’être son propre contenant et étui : ainsi replié dans l’une de ses poches, il disparait, comme une fleur non éclose. Il peut encore être porté en « banane » autour de la ceinture ou de façon plus explicite, en bandoulière, façon colt. L’apparaître dans une noble simplicité sportswear, reste le maître mot, fusse-t-il normcore. Décliné dans de multiples couleurs, il est sujet à la variation et à l’idée d’une consommation singularisée ou élective.
KHOL
L’acronyme de Kering, Hermès, l’Oréal, LVMH désigne la puissance financière des groupements industriels du luxe français.
L
Lee Edelkoort
Monument de la tendance et des prophéties colorées fondé en 1950, la montagne sacrée aura nombre de fois déclamé la mort de l’art, de la mode, de la vie. L’émergence des bureaux de tendances est, dans les années 70 et 80, le signe de l’externalisation du design des secteurs de l’industrie du vêtement et du textile. La place du designer ou du styliste est équivoque et fragile, pour les systèmes puissants et déjà globalisés de la production manufacturière. Il faut donc des oracles aussi certains qu’idéologues pour diriger les tendances et goûts des capitaines d’industries. Les bureaux de style et des modes de vie s’ouvrent alors, et à Paris notamment. Une reine est née, qui rassure les inquiets de leurs succès et infortunes, qui labellise l’ad hoc, qui néologise le futur…
Contrairement aux idées reçues, la tendance n’oriente jamais la mode même, mais plutôt les déclinaisons cosmétiques et mass-market de créations radicales ou nouvelles déjà émergées. Le bureau de style spraie donc ou diffuse ce goût, en une fragrance digérée et faite d’échos d’un présent passé. « easy, breathy, beautiful »
Londres (fashion week-end)
Au 18 septembre 2018, à Londres, ont défilé entre autres : Port 1961, Gareth Pugh, House of Holland, J W Anderson, Mary Katrantzou, Simone Rocha, Roland Mouret, Christopher Kane, Burberry, MM6 Maison Margiela…
M
Marseille
De Mallemort en Lubéron à Paris et de Paris à Marseille, de l’hiver froid raconté par sa première collection à l’hiver chaud du Souk marocain de son dernier défilé en 2018 - où les filles ondulaient en djellabas et longues jupes fluides, parées d’escarpins à brides langoureusement ouverts - Simon Porte Jaquemus opère une petite révolution climatique au sein du prêt-à-porter féminin français, plutôt porté par la morgue rêche et bleu-noire de la Parisienne, sa silhouette perpétuellement automnale sous un ciel gris urbain. Mais il y a Paris et la Province, Paris et la Provence, le grand Sud bleu blanc ocre. L’autre carte postale susceptible de séduire et rayonner de par le monde. Réchauffement ? Comme le clame le créateur lui-même sur son compte instagram : « I want only share sunshine with you all. »
Maroc
Puis en 2018, Simon Porte se réfugie dans le doux hiver marocain pour prolonger la béatitude d’une collection estivale. Or, dès les années 60 Yves Saint Laurent, grand couturier français né à Oran, s’installe à Marrakech avec Pierre Bergé, et y retourne toute sa vie pour dessiner ses collections, à l’abris des fureurs et des cycles du monde. Marrakech est pour Saint Laurent un ilot, un tapis, un jardin clos, un musée. Foucault dirait une hétérotopie. Le créateur vaque en son palais, entre éden et enfer opiacé, en compagnie d’une bohème décadente : Paul et Talitha Getty, Loulou, Marianne, Mick… Les turbans, les caftans, l’avalanche de bijoux berbères et d’argent, les perles de bois et les voiles, le raphia ou l’or, les couleurs stridentes et profondes… sont une Afrique et un Orient imaginaires, contes plutôt que contrées.
Megève
Analogue hivernal aux villégiatures balnéaires, ce village pittoresque est une station juchée sur un flanc rocheux, dédiée aux pratiques alpines et aux joies neigeuses. Deux fameuses boutiques distribuent les atours d’une pratique sportswear chic, AAllard (depuis 1926) et la maison Hermès (depuis 1950). Les articles, fuseaux, doudounes, accessoires, pulls, gants et autres fourrures… Relatent une allure technique et sportive, facile et confort comme le maillot une pièce l’est.
Voir Saint Tropez, Biarritz, Cannes.
Milan (fashion week-end)
Au 24 septembre 2018, à Milan, ont défilé entre autres : Versus Versace, Jil Sander, Moncler 2 1952, Max Mara, Fendi, Etro, Prada, Moschino, Emporio Armani, Roberto Cavalli, Versace, Salvatore Ferragamo, Missoni, Marni, Giorgio Armani, Dolce & Gabbana…
Minimal
C’est la mode d’Helmut Lang à Jil Sander et notamment Raf Simons. Des créateurs qui auront proposé des allures aux volumes simples, réduisant la couleur au bloc ou la radicalisant, structurant la ligne claire d’une silhouette sans ennoblissement et dans les limites postmodernes, crêtes acerbes et sculpturales. Minimalistes, aussi, en réponse aux exubérants et généreux prédécesseurs de la décennie 80. On peut noter que ce retour à la simplicité minimale, celle tant rêvée par les modernes modernes trouva des échos favorables dans les formes et formats sans symbole ni trop plein ornemental des robes et vêtements dessinés par les auteurs tel que Lanvin, Fortuny, Patou, Chanel … qui auront fabriqué la tenue minimum en leur temps.
Minimum
Maillot de bain porté sur les îles d’Héliopolis non loin d’Hyères, petit triangle d’étoffe accroché par un cordon qui couvre a minima la nudité des naturel.le.s insulaires.
N
Nanotechnologie (Micromégas ?)
Du macro au micro, de la fibre à l’algorithme, le vestiaire techno explore les possibles de l’hyper enveloppe, armure intelligente et thermorégulée, protectrice voire auto soignante. Nano comme l’optimisation radicale d’une seconde peau, qui donne à son porteur le sentiment d’être le géant génial et quasi ataraxique d’un monde facile et acquis. Ici, l’industrie est le volcan d’Héphaïstos, Nike lab en sa demeure.
New York (fashion week-end)
Au 14 septembre 2018, à New York, ont défilé entre autres : Tom Ford, Jeremy Scott, Eckhaus Latta, Longchamp, Boss, Mickæl Kors, Rodarte, Calvin Klein, Coach 1941, Marc Jacobs.
Nature 2
Depuis Jean Jacques Rousseau la forme d’une nature originelle perdue demande à l’homme social de considérer la politique comme l’éducation selon la vertu d’une grande morale systémique : celle du bon sens et de l’inventivité sensible. Nature comme point de départ et de chute pour l’être contemporain, qui, sans autre fard, va vers l’apocalypse. De catastrophe en catastrophe, la nature c’est le loupé ontologique-écologique. Joyeuse fin ?
O
Out
Voir In
P
Paris (fashion week)
Si les marques emmenées par KHOL vertèbrent le luxe mondial, à Paris défilent l’alpha et l’omega des maisons de la couture et du prêt-à-porter. Le calendrier organisé par la Fédération donne le vertige : chaque créneau, comme pour un rendez-vous chez un ophtalmologiste ou un chirurgien courus, est bataillé, chaque voisinage surveillé voire agilement chipé à sa voisine décadente. La semaine de la mode parisienne incarne à elle seule les enjeux comme les combats d’influences des grands groupes. Ainsi, en septembre 2018, l’arrivée d’Hedi Slimane, chez Céline comme chez LVMH, aura été honorée d’un créneau inédit. Dans le même temps chez Kering, Gucci en cette belle saison était française et non plus italienne, YSL dansait sur l’eau et Balenciaga turbinait un set de défilé explosif et apocalyptique avec Jon Rafman. Puissance contre puissance, à Paris, pour une fois, plusieurs centres se font concurrence. Les empereurs marchands ne dorment pas.
Patou Jean (1887-1936)
L’instigateur du parfum Joy, fragrance aux mille fleurs promue à l’époque comme étant la plus chère du monde, Jean Patou est d’abord un couturier qui dessine au début du vingtième siècle un art de vivre casual chic et des pièces émanant d’un sportswear de classe internationale : le vêtement féminin est simplifié dans la forme, fluide et lisse dans le choix des textiles. Nul excès de broderies ou de matières ne viennent troubler l’allure : la taille est dégagée et droite, la séduction libre comme témoignant d’une existence facile. Patou apprécie la souplesse du jersey ; il propose aussi très tôt des lignes exclusivement dédiées aux activités sportives et de plein air, et habillera ainsi la championne Suzanne Lenglen. Qu’il s’agisse de partir en croisière à New York ou d’égayer ses jambes dans le cadre d’une partie de tennis à Deauville, les modèles choisis par Patou, aux carrures athlétiques, parlent autant à la cliente américaine émancipée qu’à la garçonne européenne des années folles. Déjà revisitée par Karl L., l’annonce de l’arrivée de Guillaume Henry à la maison Patou, en septembre 2018, par l’entremise du groupe LVMH, réouvre le patrimoine efficace et galant de cet élégant parisien.
Plage
C’est dans l’air vif des plages de la normandie Belle Époque où l’élite commence timidement d’exprimer un corps, que Gabrielle Chanel pose les bases de ce que sera l’allure moderne : débrouillée sinon sportive, libre, nette. C’est donc une plage que met en scène la maison Chanel pour la belle saison 2019 à venir, son directeur artistique at large Karl Lagerfeld ne cessant de réinvestir l’histoire de Gabrielle afin de mythifier la femme et son vestiaire. Sous la nef industrielle du grand palais parisien toujours, les dunes et le mouvement des vagues en vrai, la pittoresque paillote comme si vous y étiez, et les déclinaisons printanières du célèbre tailleur en tweed vaquant aussi nonchalamment qu’il leur est possible. Dans le fond, on n’a pas osé imprimer le dessin de la côte en 3 D mais qu’importe, le budget reste digne d’un péplum hollywoodien. Gabrielle aimait mêler le vrai et le toc dans les bijoux qu’elle arborait, manière de moquer la bourgeoise traditionnelle lorsqu’on l’instituait comme aimable coffre fort d’un mari… S’émerveillerait-elle aujourd’hui du kitsch manifeste des défilés Chanel actuels, au-delà de leur démonstration de pouvoir ? Adieu désinvolture et trouvailles de la plage, bonjour grandiloquence maquillée des récits marchands post mortem.
Promenade
« Elle avait maintenant des robes plus légères, ou du moins plus claires, et descendait la rue où déjà, comme si c’était le printemps, devant les étroites boutiques intercalées entre les vastes façades des vieux hôtels aristocratiques, à l’auvent de la marchande de beurre, de fruits, de légumes, des stores étaient tendus contre le soleil. Je me disais que la femme que je voyais de loin marcher, ouvrir son ombrelle, traverser la rue, était, de l’avis des connaisseurs, la plus grande artiste actuelle dans l’art d’accomplir ces mouvements et d’en faire quelque chose de délicieux. »
Marcel Proust - Le Côté de Guermantes - À la Recherche du Temps perdu III - page 136 - Folio classique
Prêt-à-porter
Ready-to-go ? Énoncé à New York il a quelques saisons, le « See now, buy now » aura dit la volonté américaine de dérober une certaine hégémonie européenne liée à d’antiques traditions du luxe. Cette proposition aura ainsi voulu révolutionner la conception et la diffusion du prêt-à-porter contemporain, possiblement consommable dans le hic et nunc de son dévoilement médiatique. Or c’était oublier les réalités incompressibles de la chaine manufacturière, ses matières, formes et standards réglés au métronome… Et les temporalités troubles du désir lui-même, qui projette, attend, rêve, diffère.
Voir Eshop et Retail
Q
Quiproquo
On ne porte pas un jean boyfriend pour être plus à son aise, et cette pièce, à l’ampleur calculée au cordeau comme témérairement ajustée sur les hanches, ne saurait être en rien celle que l’on emprunterait à un compagnon, par sympathie et paresse.
On ne glisse pas une chaussette de tennis dans une sandale compensée à talon très haut, on n’arbore pas un manteau XXL constitué de cinq pardessus (des)accordés les uns aux autres, simplement parce que l’on n’a pas su choisir et qu’il fait quand même froid.
Le moche, pour reprendre un mot sardonique de Loic Prigent, n’est peut-être que la quête effarée d’un nouveau glamour. Et la mode une comédie des erreurs, des malentendus, de contretemps_orchestrés avec une extrême précision. Dans un pan contemporain, de Gucci à Balenciaga, le jeu aura aussi été de désarmer par quiproquo choisis et frontaux.
R
Redoux-regain
« Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. »
Harmonie du soir, Charles Baudelaire, Les fleurs du mal (1857).
Retail
Science de l’ordre et du désir assouvi, la vente au détail présente, démontre, distribue. L’activité a pris un essor démentiel. Dépassant le simple fait d’étaler les produits et denrées vestimentaires, elle devient le prisme d’une « expérience client », et d’une spectacularisation, en miroir, de l’attrait individuel pour la chose. Le retail est désormais la somme des percepts vécus mais aussi produits dans la boutique, et de ses effets depuis l’entrée en magasin sur le client. De là, découle l’art des variations du même produit, pensé en amont par un marketing habile, l’art aussi de placer et déplacer ce « Même » pour lui donner le baume du nouveau, l’art enfin de sublimer un mode de vie plié, empilé et porté sur des socles et stèles dédiés. Bref, tout pour la boutique.
Voir Eshop
S
Saison 1
Lorsque les étals devinrent aussi gourmands qu’avares, la belle nouveauté, l’article du désir, s’est désynchronisé de l’air du temps le vrai, frais ou chaud. La logique carnassière du retail, des soldes, les blockchains de l’hyper-industrie, l’ultra géographisation post mondiale… Et la doudoune comme le bikini se sont vendus en même temps dans les mêmes endroits, sur toute la surface du globe. Las, chaque collection réalisait finalement le devenir mode : cet être permanent d’impermanence.
Stylométrie,
« subst. fém.,ling. Science qui utilise les statistiques pour l'étude du style (supra II A). On peut mesurer le lexique et la syntaxe d'un style (…). La stylométrie usera de tous les moyens de mesurer : on pourra compter, calculer, faire des analyses factorielles, des prévisions statistiques, des comparaisons, (…) son objet global demeure cette propriété de l'ensemble sur laquelle s'exerce finalement le jugement esthétique (J.-M. Zembds Rech. de styl., Nancy, C.R.A.L., 1967, p. 36).
Homon. style2. Étymol. et Hist. A. Ca 1290 estile « manière d'agir » (Gautier de Bibbesworth, Traité sur la lang. fr., éd. A. Owen, 278); ca 1350 stile (Gilles le Muisit, Poésies, I, 125 ds T.-L.); ca 1480 selon son stille « à sa manière » (Myst. Viel Test., 43204, éd. J. de Rothschild, t. 5, p. 295); 1540 changer le stille de sa vie « changer de manière de vivre » »
Fragment extrait du dictionnaire CNRTL
http ://www.cnrtl.fr/definition/stylométrie
Saint Tropez (voir Megève, Monaco, Miami)
Toute station balnéaire ou thermale est un salon mondain orné de petites cages dorées, de tableaux miniatures esquissés par un Huysmans. Là, les oiseaux rares et migrateurs, viennent le temps d’un vol léger, les plumes lissées, flâner. En ces lieux rituels paradent de concert les oies blanches, les cigognes noires et les grives, mais aussi les tortues joaillières et les vénus en fourrures, promenades ou catwalks en décors naturels. La plage comme les vagues ici sont vraies; nul subterfuge sinon celui chirurgical des fards déposés au dessus et au dessous des becs et museaux, masques pour selfies où l’anti UV est banni.
Smoking
« Le smoking pour une femme est une vêtement de base du soir qui sera toujours à la mode. C’est une valeur sûre, qui n’a pas d’époque, pas de saison. »
Yves Saint Laurent
Soldes
Quand l’objet du désir redevient manufacturé, et sa valeur ratiboisée aux moments des fins de collection.
Quand on s’arrache à l’ouverture de certaines journées dédiées les fringues, oripeaux, frusques et autres mauvaises affaires, mais que l’achat se veut prise de guerre, que l’attrait du paraître est un match capital, entre rapine et rapt, un acte soudard.
Sold out, c’est l’écoulement des stocks dans leurs totalités, la joie rêvée et impossible du magasinier ! La belle volonté de l’entrepôt d’être solde de tout compte selon l’expression consacrée. Mais le vêtement soldé qui demeure en boutique, ne devient-il pas, ultime renversement, un élu possible au panthéon du vintage ?
T
Thermorégulation (voir Andropause)
Qu’il s’agisse de soie, de laine, ou des microfibres nouvelles de l’industrie textile, un enjeu de taille, et une alternative à la peau tannée de bête à longs poils, aura été de créer des surfaces où la circulation calorifique, son gain ou sa retenue, soient efficaces, pour qu’alors la frêle carcasse humaine ne soit plus l’esclave des frimats, des canicules, ou sujette aux sudations indues. Du chaud au froid, la grande quête textile vise la dimension confortable d’une thermorégulation.
« Ciel ! Ma polaire ! ? Ou est ma polaire ? » Note de l’auteur
U
Usage
Du jardin à l’usine le vêtement fonctionnel, workwear mais pas seulement, l’uniforme utile en somme_le bleu, le rouge, le jaune, en tissage et en maille… Ne s’éprend jamais des modes. Cette espèce vestimentaire est plus encline aux ennoblissements techniques, aux renforts optimisés, à l’ajout de technologie. Avec elle on entre dans la saison moderne des arts appliqués, leurs déclinaisons et leurs usages, d’évolutions post Darwin en révolutions, numérique incluse.
Uchronie
« Ce pourrait être le début d’une prise de conscience, mais cette réminiscence s’étiole et disparaît, absorbée par le trop-plein de réalité de la rue de Rivoli à la pause-déjeuner et à l’heure des soldes d’hiver. Ce n’est pas le bon jour pour un mort vivant. La ville est saturée de flux frénétiques tandis que Charles, non pas le poète maudit mais le zombi amorphe, dégueule lentement, dans un borborygme pénible, (…). Bien entendu, il dégoûte et effraie les riverains hyper-mobiles de la grande ville moderne, qui ne le voient que d’un œil et ne le tancent que d’un soupir. Pourquoi se soucier de ce miséreux alors que, partout autour d’eux, les attendent les marchandises fétiches et la fantasmagorie ? »
Eric Chauvier, Le revenant, Edition Allia, 2018, p.27
V
Vreeland Diana
Spécimen rare d’oiseau exotique, plumage bigarré, bec picassien, ramage résolument moderniste. En réalité, éditrice et rédactrice de mode légendaire, qui aura transcendé sa laideur par un sens suraigu et fantasque du style dans tous ses états. On doit à Vreeland les éditos les plus chers de la presse mode (Harper’s bazaar, Vogue). Sous sa directive, les équipes constituées des plus grands photographes (Avedon, Bailey, Klein, Penn) et des mannequins les plus impressionnants (Veruschka) prennent systématiquement l’avion vers des contrées lointaines. L’important n’est pas la robe en elle-même mais ce que l’on fait avec, rappelle Vreeland en substance. Plus les paysages et les conditions seront extrêmes, plus la fille et l’allure seront une ivresse spectaculaire. Les saisons ne sauraient donc être un cadre tiède : l’hiver est un sommet montagneux immaculé au Japon, et le manteau une débauche superlative de fourrures ; l’été une pyramide, un temple grec ou une architecture troglodyte turque inondés d’or et de soleil, afin que claque dans ses plus belles couleurs un voile imprimé Pucci. Vreeland porte l’idée du style comme l’émanation d’un déplacement climatique et d’un voyage, comme une rencontre heureuse mais aussi une conquête très protégée, du divers.
Vitrine
La vitrine est l’apanage des saisons, le temps retrouvé, l’ici et maintenant de la collection mise en service, sans anticipation ni retard. La vitrine, c’est le hic et nunc de la mode. Lieu d’une présence dont l’évidence ne fait pas défaut. C’est la devanture achalandée qui est promesse de joie. Tabernacle des tabernacles, un présentisme pour reprendre la fameuse pensée de François Hartog, un régime de temporalité encapsulé et paradoxalement ouvert sur le monde, par de vers la vitre transparente. Le roulement des quatre saisons s’y assure, le déroulement des plans de collections aussi. À grand renfort de socles et de décors, cette grande horlogère est aussi menteuse qu’enjôleuse.
W
Walter Benjamin
(paris capitale de la mode)
Si Walter Benjamin théorise la vie moderne, la capitale de la mode et les passages dans le même laboratoire lutecien, c’est qu’à ce moment précis sont réunis là les pointes saillantes d’une existence nouvelle dont Charles Baudelaire dépliait malicieusement quelques décennies auparavant, en étoile errante, de poétique en piques critiques les thèmes de cet art de vivre. De la foule à la reproductibilité, de la vitesse à l’oubli, de la beauté au dégout, Paris la ville personna, est réceptacle, calice et alambic.
« La discordance de la cité préhaussmanienne était étriquée, sombre, incertaine et piteusement émotionnelle. Avec le tracé des grands axes, Charles comprend que Paris est désormais un bain de multitude, une expérience dominée par l’anonymat, permettant à chacun d’observer ses contemporains afin d’en retirer un contentement esthétique, un voyage immobile et vaguement transgressif. »
Eric Chauvier, Le revenant, Edition Allia, 2018, p.28
Webzine, digital magazine
Longtemps le magazine de mode édité, imprimé, périodique, depuis le Mercure Galant jusqu’aux Vogue actuels, suscitait l’époque et sa convoitise. Aujourd’hui sa version web, ou plateforme digitale, ouvre un espace perméable au flux comme à l’air du temps sans ses fluctuations les plus fines; un espace permanent susceptible encore, de s’adonner aux joies du son et de l’image mouvement, lorsque les artistes et les photographes s’accaparent ces derniers pour explorer la mode comme narration et évènement étendus. Le webzine étire les limites, s’arroge une insolente versatilité dans le choix de ses annonceurs et ses partenariats. Now or never. L’objet papier tremble désormais sur ses bases. Et développe en réaction une temporalité nécessairement plus longue, moins synchrone, plus arrêtée dans ses choix et ses prescriptions : un retard, une mémoire… Critique ? Osons le mot.
Pendant ce temps, tous les smartphones de la planète tressautent à chaque minute pour saluer l’apparition d’une petite image carrée : billet, humeur ou séduisant papillon. Bien plus encore que le Webzine, Instagram cristallise pour la mode l’idée d’une communauté agissante et désirante, et une puissance d’attraction continue. La pluie et le beau temps, now and ever, anytime.
Winter
« Winter is coming. »
Ned Starkin, A song of ice and fire, George R. R. Martin, 1996
X
Xennials - Génération géniale
Chaque génération, à l’ère marketing, semble avoir son appellation spécifique, AOC du cadre politico-culturel dans lequel la génération grandit. En ce sens, Xennial correspond à la tranche humaine née entre 1975 et 1985 et constitue ce bloc particulier qui voit l’émergence quotidienne de la question de l’information, de l’accès et du flux, de la boite mail et de Facebook, des consoles et des téléphones portatifs… Autant dire de la préhistoire de l’hyper contemporain. Agile à se saisir de cette modernité, mais distinguant encore un fer à repasser d’un marteau, une vache d’un mouton, le Xennial est un point de jonction entre l’ancien et le nouveau monde.
Viendront ensuite les Millenials, ceux qui naissent peu avant ou pendant le bug de l’an 2000 : génération acquise à l’internet, à la pluralité et l’instantanéité maximum, à l’effondrement des deux tours et au seapunk, mais qui ne nait pas pour autant avec le tout smartphone tactile et ses « appli ». Les bébé post Millenials eux savent scroller sur un écran tactile in utero.
Les Millenials, ces ringards…
Alors, le marketing, stratège dans la multiplication des petits pains, use de la compréhension de ces origines respectives et générationnelles pour attraper le bedeau - rendant le temps retrouvé vomitif. Le marketing est mort… vive les bureaux de style…
Y
Y a t-il un pilote dans l’avion ?
Le réchauffement climatique pose cette question d’une gouvernance du monde, et de la naïveté de l’humain à s’en croire le maître et possesseur. La terre en réalité tourne, indifférente à l’état d’angoisse coupable de son locataire.
Yacht
N’accoster sur les rives d’aucun pays si on le souhaite, envoyer ses sbires se mêler à la population locale en cas de nécessité extrême. Choisir son eau, sa température, son air, son panorama. Afficher sa morgue sans risque de retour. Sur le pont : fourreau cocktail les grands soirs, bikini éternel par mer calme, et short, chino, pantalon corsaire; un vestiaire croisière chic et sportswear étudié pour maintenir la température du corps au mépris des aléas du temps, protection anti-UV optimum_ protection tout court.
Yeye
De Johnny à Sylvie, l’époque adoube le blue jean pour tous, la mini jupe, la robe trois trous, les imprimés graphiques et les collants nylon color block, sinon les jambes nues. Une liberté du bassin, des genoux et des bras, lachée dans des torsions activistes s’accorde au rythme du Yéyé. La mode et la musique proposent un art de vivre de la jeunesse, émancipée ou en passe de gagner ce droit. L’allure classique, post post post Coco, celle de maman, reste toutefois persistante chez une Sheila.
Z
Zoo
La mode proposée par Rick Owens et sa compagne sorcière Michèle Lamy est un bestiaire dystopique à la grande force d’imaginaire. Les formes extensives, les parures sans anthropomorphisme ou sans physiologie correcte, dessinent un vestiaire en rupture avec la symétrie sagitale. Les corps comme les textiles fusionnent pour devenir zombie, chat écorcé racé, grue au désir éruptif, beau poulain transgressif. Dans ce panorama d’apocalypse, les animaux sauvages d’Owens s’exhibent encore sous serre ; Zoon logon ekon dont le vêtement est le mot le plus sûr.