MB : J’aimerais avoir votre perception de cette notion de « see now buy now », que vous avez critiqué et pensé un temps donné, au regard de l’économie et du marché de la mode contemporaine ? Cela m’aurait intéressé de savoir comment vous le considérez au regard de la saisonnalité ? Et si la notion de saisonnalité a toujours un sens pour la mode ?
PM : Alors il y a plus plusieurs choses à dire par rapport à cela. Car « see now buy now » ce n’est pas uniquement la notion de saisonnalité. Et le sujet que je me suis posé, que nous nous sommes posés plus globalement, parce que notre analyse extrêmement claire était que le « see now buy now » s’opposait à la créativité. Après c’est une question supplémentaire que la saisonnalité, dont on va parler, tout ça s’emboîte mais pas de façon évidente.
Et donc, le « see now buy now » peut tout à fait être adapter aux marques lifestyle, et d’ailleurs ça marche plutôt pas mal pour ces marques, et qui sont dé fait moins créatives. Ça amène à se poser la question d’ailleurs de l’intensité de la créativité de ces marques et de ces gammes. Mais ça marche. Et des marques comme Tommy Hilfiger peuvent le faire, puis après ce sont aussi des grands bouleversements, marketing, d’organisation, ce rythme. Par contre, ce n’est pas adapté pour une marque créative, quelle soit de prêt-à-porter, couture, ou plus généralement du luxe. Si vous regardez ce qui s’est passé pour les marques créatives, le « see now buy now » n’a pas fait long feu. C’est un retour en arrière général, c’est arrière toute même. Ralph Lauren, ils y sont allés, ils en reviennent, puis on verra ce qui se passe pour Burberry, mais enfin on peut imaginer qu’il se passe le même revirement même si cela n’est pas dit formellement… (N.A : L’interview est donnée en novembre 2017)
MB : Mais disons que le fait qu’ils se soient séparés du DA signifie quelque chose de ce type…
PM : Oui et d’ailleurs ce n’est pas neutre, parce que, Christopher Bailey est un homme extrêmement talentueux, à la fois en création et en communication, donc il a bien compris que ça fonctionnait plutôt comme un adage mais pas comme une réalité de création. Et si ça fonctionnait comme un adage, disons comme un adage général, que cela serait un des principes possibles de diffusion, d’une proposition marketing, parce que ça avait tous les attributs d’un sophisme. Parce que vous ne pouvez pas ne pas être d’accord, aussi du point de vue du marketing et du consommateur. Vous voyez … « see now buy now », quel en est le contraire de ce « see now buy now » ? C’est « don’t see, don’t buy ». Vous ne pouvez pas dire des clients « faut pas qu’ils voient »[1] ni qu’ils n’achètent. Ou alors, si l’on poursuit la logique du sophisme, cela serait le paradoxe du « see but don’t buy »… Donc ça a tous les attributs d’un sophisme. Et dit avec une assurance intempestive. Les conditions de réfutation n’étaient pas très viables dans l’énoncé, immédiatement. Dans le sens poppérien du terme. Il y a de plus le côté qui sonne bien, y a une consonance. C’est comme « lundi c’est ravioli », vous voyez… Par ailleurs, ce n’est pas évident d’imaginer ce que peut être un adage donnant le point de vue opposé.
Puis, nous quand nous avons dit qu’il y a une trilogie entre la créativité, le temps et le désir, nous étions déjà dans un discours plus conceptuel et pas trivial, et qui peut être perçu comme intellectuel, alors que c’est juste, entre guillemets, la réalité.
Et puis il faut bien voir que derrière tout cela, il y a des intérêts. Pour les marques lifestyle c’est intéressant. Et puis il y a un groupe qui promeut le « see now buy now », c’est Amazon. Et qui est de plus en plus présent dans la mode. Il y a du « see now buy now » qui se fait à Londres, sous l’égide ou avec le soutien d’Amazon. Et à New York également. Donc la question c’est : qui donne le la ? Alors après dans le « see now buy now » on a mélangé beaucoup de choses parce qu’on a mélangé des collections capsules, ponctuelles, c’est le cas de que nous avons donné précédemment avec par exemple Burberry à Londres, et une réorganisation complète.
MB : Du système de la mode ?
PM : Du système, effectivement. Après, la réorganisation complète, qu’est-ce que ça veut dire ? L’enjeu primordial c’est le temps et au fond si l’on veut écouter ce que je dis Amazon ou d’autres plateformes de ce type, qu’est-ce qui fait que s’est posé cette question, d’une immédiateté entre création et diffusion. Eh bien, c’est de la transposition d’autres marchés, de ce qui se passe sur le marché, sur un plan plus général, sur le net. Si l’on dit Zara par exemple, prenons la fast fashion comme exemple. Est-ce que Zara, c’est du « see now buy now » ? Oui et non. C’est du « see now buy now » au sens où je vois un vêtement, un produit qui me plaît dans le magasin ou sur le sur le site, je l’achète. Mais c’est un truisme, parce que si vous voyez le vêtement, physiquement ou en image, c’est que vous pouvez l’acheter. Rien à voir avec le principe du défilé et de l’achat…
Donc ce qui comptait par rapport à toute ça, c’était la vision sur le net. Et c’est là qu’il y a une grande déformation, une distorsion. C’est là aussi que ça veut dire beaucoup de choses. Et cela fait écho à « shop now », tous les boutons d’achat, « shop now », « buy now », que l’on trouve sur les sites d’achats en ligne… Alors ça c’est un aspect très important qui a beaucoup de conséquences sur la diffusion de la mode hors retail.
Et puis, après il y avait aussi une autre idée potentielle, un peu mélangée dans mes propos, qui était de différer le moment dans lequel on montre la collection, du moment défilé ou de celui de la présentation en boutique qui sont deux choses différentes. C’est pour ça que j’avais distingué différents types d’interprétations. Et là, si on prend l’interprétation dans le monde physique, qui repousse à plus tard la présentation de la collection, bien qu’achevée, et donc de repousser la diffusion et l’achat, ça a des conséquences, en particulier si je prends la fameuse métaphore du frigidaire, « il faut mettre ses collections au frigidaire », le créateur retient cette collection, et commence autre chose[2] ? Alors que pour le créateur, ce qu’il veut c’est présenter une collection qu’il estime aboutie, créativement et c’est aussi passer à autre chose, à la collection suivante…
Et par ailleurs, dans cette perspective, si on prend toujours ce modèle traditionnel, la question est de savoir quand sont passées les commandes. Donc, les commandes[3] doivent être passées plusieurs mois auparavant, notamment les matières textiles … Parce que le temps sur une chaîne de production, de la supply chain, est de quatre à cinq mois. Alors on peut réduire un peu, mais on ne peut pas tellement réduire. Zara l’a réduit à quatre jours, à une semaine parfois, mais c’est quand ils ont les tissus en stock, avec une efficacité particulière, avec une interrogation sur la création tout de même… Sur du travail créatif on peut réduire n’est ce pas… mais il y a toujours un délai de production, d’acheminement, de communication…
MB : Un temps incompressible, une réalité de l’industrie.
PM : Absolument. Les lois de la physique sont irréductibles, et là les lois de la logistique et de la production sont en partie irréductibles. Un délai de commande, d’obtention des tissus, c’est deux mois. Donc il y a cette réalité. Quand sont passées les commandes ? … Vous voyez, les commandes peuvent être passées avant que l’on montre les vêtements. Mais ça implique aussi des prises de risques importantes, aveugles en ce sens…
MB : Oui des décisions, mais qui sont d’ordre créatives aussi d’une certaine manière. Des paris sur les potentiels d’une collection et du désir à venir…
PM : C’est là qu’il y a le lien avec le consommateur. Parce que finalement, quand vous regardez les études qui ont été faite notamment anglo-saxonnes, on disait c’est le consommateur. Mais c’est là, que ce point de vue là, il y a dans la littérature académique, marketing, une distinction très claire entre le marketing de l’offre et le marketing de la demande. Entre le marketing qui est « creative requirements » et « customer requirements » ou « customer driven ».
Vous avez aussi la question du prescripteur, et de savoir qui sont les prescripteurs ? Et ça veut pas nécessairement dire que c’est moins bien, mais vous avez les prescripteurs et c’est là le lien avec le net, avec le « see now buy now », c’est aussi et surtout des bloggeurs comme ça peut être aussi telle ou telle star, etc. Et ce n’est plus la critique de mode. Donc ça revient aussi à dénier un certain professionnalisme. La valeur analytique de la critique de mode. Qu’est-ce que ça veut dire « j’aime ou j’aime pas ». Tout ça est très approximatif. Moi, j’aime bien ce que Wittgenstein dit la dessus. Parce que quand il en parle, de l’esthétique, il ne dit pas « j’aime ou j’aime pas », il sait que ça veut rien dire. Il dit que le terme le plus approprié, c’est le verbe « apprécier ». Parce que dans « apprécier », il y a la connaissance de tout ce qui est véhiculé, la connaissance des éléments cognitifs, et puis vient l’émotion qui se greffer à cette cognition, et qui peut tout enlever, défaire. Mais qui peut tout enlever, quand tout le reste est absorbé, connu.
Donc il y a aussi ces éléments là, tout à fait important. Et disons que cela serait le volet classique du « see now buy now », de réalité physique, et puis il y a le « see now buy now » de la réalité virtuelle. Dans la réalité virtuelle on est dans un autre modèle. On est dans un modèle qui suppose que la réponse au marché prime, donc que c’est le consommateur qui prime, et qu’il faut anticiper sa demande totalement, par une utilisation des données, et par des modèles de décryptage de ces mêmes données, voir d’intelligence artificielle qui sont adaptés et qui permettent de faire des liens et d’analyser quantitativement ces datas.
MB : Et effectivement, cela marche pour des marques de lifestyle, parce que si on se pose la question à l’envers, pour désigner des groupes de luxe ou des maisons de mode, de prêt-à-porter de luxe, qui produisent une expérience client spécifique, de boutique, l’expérience virtuelle ou digitale est pour l’instant un problème. Et du coup, elle n’a pas sa valeur… appliquée, pour le moment…
PM : Si cette expérience est fondée sur l’accès et l’achat, elle est problématique. Ça c’est aussi la question de la surprise. Qu’est-ce que ça veut dire la surprise ? Si on regarde sur le net, moi j’écoute beaucoup de musique, c’est sûr que les algorithmes permettent aussi de découvrir de nouvelles choses, de proche en proche, quand on navigue on fait comme ça…
MB : Par analogie, presque…
PM : Par analogie. Et c’est sûr qu’il y a des modèles sous-jacents, des intelligences artificielles, on pourra – on peut encore le faire modérément dans la mode – reproduire les patterns des créateurs. Mais ce n’est pas pour autant qu’on arrive à complétement absorber le phénomène de la création, le phénomène de la surprise, etc. Il y a une dimension de l’humain qui n’est pas très recevable, parce que au bout d’un moment, l’humain s’arrête là. Au delà de l’utilisation des données, au delà du process, des datas …
MB : Et qu’il y a une temporalité, à la fois dans la conception mais aussi dans la réception. C’est ce qu’on disait tout à l’heure, de ce qui est incompressible, mais je pense que l’équivoque entre saisonnalité et « see now buy now », elle tient de cette notion de temporalité qui est au cœur de tout ce système.
PM : Je vais revenir sur la critique, parce que, si on regarde le cinéma, le modèle industriel comparativement est intéressant. Au cinéma, une fois que l’œuvre a été faite, elle est reproductible. Alors que dans la mode, la reproductibilité, d’abord elle est coûteuse, et elle est risquée en terme financier. Donc on ne peut que la gérer différemment.
On retrouve en tous les cas dans le cinéma, la question de la critique. Netflix, ils en ont rien à faire de Cannes. Ça ne les empêche pas de faire des supers séries, sur Escobar ou sur d’autres… Il faut vraiment analyser cela de façon approfondie, comme pour le lifestyle. Mais vous voyez où intervient le champ de la critique. Disons que, c’est intéressant l’histoire du cinéma, dans la diffusion, parce qu’on peut isoler l’enjeu de la prescription en temps que telle. Qui existe aussi dans la mode mais qui se mixe avec la question de la temporalité. Et par rapport à la saisonnalité, y a eu pas mal de confusions, parce que quand le « see now buy now » est sorti, il y a un certain nombre de personnes qui légitimement ont fait le lien avec le « buy now, wear now ». Ce qui est un vrai sujet. Ce qui renvoie à plein d’autres questionnements, et notamment au mode de distribution, à la globalisation, aux soldes qui sont extrêmement prématurées, aux Etats-Unis, et parce qu’il y a aussi une concurrence féroce du net… Il y a donc un vrai sujet avec la saisonnalité. On voit bien, en tout cas que dans les défilés, au point qu’un certain nombre de marques, de créateurs, et pas seulement Kanye West, appelle ça « saison 1 » et « saison 2 ». On peut penser que l’enjeu dans la mode, c’est de renouveler en permanence l’offre pour répondre aux aspirations potentielles, mais sans penser au consommateur pour autant, tout en étant efficace, en tant que développement durable, face au système, etc…
MB : Mais c’est intéressant parce que le système en soi s’adapte aussi à ces notions précisément, c’est-à-dire qu’il y a des temporalités très inscrites dans les calendriers, qui sont un peu débordées, au sein des collections même, par le fait qu’il y ai des assemblages qui s’adressent à la fois à un public qui serait très asiatique, un public hémisphère sud et hémisphère nord à la fois, et que du coup au sein d’une collection il y ai une espèce d’étiages très complexe d’éléments de temporalité, désynchronisés, mais qui finalement se synchronisent au sein d’une collection, et dont on sent bien que ça va dans le sens de cette complexité du système à pouvoir le suivre après, en terme de diffusion, de vente…
PM : Oui, je vais rajouter un autre élément de complexité, qu’on voit aujourd’hui ce qu’est le système de stratégies des maisons pour simplifier. Il y a les marques qui gardent le calendrier, qui collent avec le calendrier de la fashion week notamment, parce que ça va très bien pour X raisons, mais pour lesquelles les ventes – si on parle en mode féminine – les ventes dans les défilés vont représenter 20 ou 25% de l’ensemble seulement. Or, les calendriers des collections tendent à s’avancer, à se décaler, donc c’est pour ça que les pré-collections se font de plus en plus, en novembre ou début mai.
Ensuite, vous avez une autre tendance, qui consiste à réunir les collections, converger vers une, au moment de l’homme et de la couture, d’où des candidatures en couture et d’où des co-éditions. Et on voit bien qu’il y a vraiment deux tendances. Parmi celles qui veulent faire ça au même moment, y a celle qui veulent mettre l’homme et la femme en même temps, et ceux qui veulent mettre la femme, et l’homme, à des moments différents. Donc tout ça c’est des enjeux de temporalités. Nous, pour nous qui avons en charge la coordination de la fashion week, tout l’enjeu – et c’est vrai pour les camarades des autres fashion weeks italienne, new yorkaise, … – c’est de permettre cet éventail de modèles économiques sans pour autant que on aboutisse à une entropie excessive et qui puisse finalement se retourner contre les marques elles-mêmes.
MB : Oui, dans une sorte de dérèglement de la proposition, saisonale pour le coup, au sens d’automne hiver…
PM : Absolument. Donc voilà en gros la situation. Après, sur la question du désir et du temps et de l’attente, c’est comme si, avec le « see now buy now », on avait résolu d’un coup d’un seul, d’un coup d’adage, un coup de dés, la problématique du rapport du désir au temps, à l’attente. Celle de l’instantanéité. Mais, ce n’est pas neutre ce rapport à l’instantanéité. C’est aussi une tendance sociétale, dont Tinder et compagnie sont le modèle le plus explicite…
MB : Oui, parce que dans l’instantané, il n’y a pas aussi cette dimension d’exclusivité et d’adhésion ferme. C’est-à-dire que l’instantanéité offre, dans un rapport à l’image, une forme de panthéon, et sans doute une adhésion moins exclusive et durable. C’est pour ça aussi que je pense que la critique est difficile, parce que la critique c’est un temps différé, à l’écrit, et ça pose une parole qui serait dirigée, pour ne pas dire idéologue, et par comparaison dans l’image il y a une mobilité, une fluidité qui accorde non pas une versatilité mais une complexité, qui serait moins… définitive…
PM : Oui, mais d’un autre côté, il y a un besoin qui s’exprime, de voir des personnes qui sont suffisamment crédibles et que l’on a envie de suivre. Et ça, il y en aura de plus en plus et encore besoin. Je pense que ça peut être les créateurs, ça peut être aussi les mannequins, et ça peut être aussi les stars ou les critiques. Qui vont exister en temps que telles, des personnes que l’on écoute. Alors après, qu’est-ce qu’ils font de leur crédibilité, c’est là que l’on tombe dans le contemporain, c’est ce qui ne se mesure pas immédiatement. C’est la mesure de l’influence…
MB : Oui, ça c’est le contemporain. Mais la critique n’est ce pas justement dans la durée, dans la pérennité ?
PM : Oui, mais pour qu’elle existe, il faut qu’il y ait une crédibilité. Ou alors il faut une crédibilité institutionnelle, ou les deux, associée à une crédibilité intrinsèque… Et justement il faut les deux, il faut jouer cette carte là pour ensuite la déplacer. Et sur le rapport au temps, il y a aussi tout un mouvement, que ce soit slow food, de slow fashion, etc. Il y a une phrase que je cite souvent, que j’aime bien, c’est une phrase de Montherlant, qui dit : « un jour viendra, s’agissant de la vitesse et de la surenchère qui la conserve, la lenteur sera le seul moyen d’exprimer une certaine délicatesse. » Il répondait, c’était dans un dialogue avec Paul Morand, sur la vitesse. Et c’est d’actualité. Ça renvoie à toute la question du temps, voir à toute cette accélération, cette perception de l’accélération, comme cela a déjà commencé il y a un siècle. Et là avec la troisième ou quatrième révolution industrielle ce le nom qu’on lui donne… Moi j’aime bien ce qu’écrit Hartmut Rosa sur tout ça. C’est un philosophe allemand qui écrit sur l’accélération du temps. C’est un héritier de l’école Francfort.
Donc les choses s’emballent, et il faut arriver à créer et avoir des points de repère par rapport à ces rythmes, au système dans sa globalité. Mais de toutes façons, le système bouge, et de toutes façons la révolution digitale fait évoluer les choses… J’ai participé à une table ronde en Italie, à Florence, au Pitti Filati[4] pour échanger sur ces sujets…
MB : Oui effectivement. Sur la révolution numérique pour l’industrie textile par exemple… et ce qu’elle avait apporté ou pas, ce qu’elle proposait comme leurre en terme d’efficacité ou de rapidité… que dans le fond à part la question de l’imprimé, le digital n’avait pas forcément modifié tout, certes il a accéléré et parfois rendu possible des choses qui n’étaient pas tout à fait mécaniquement faisable auparavant… mais la seule modification c’était la vitesse de reproduction de l’imprimé, et cette espèce de diffusion accélérée et continue. Après tout le reste, était tenu par dans les considérations logistique, c’est-à-dire le transport, la matière première…
PM : Absolument, ce qui veut dire que dans tout ce qui se passe grâce au numérique ou avec le numérique, et toutes les conséquences que ça peut avoir dans l’interaction avec d’autres technologies robotiques ou autres, pour lesquelles la dimension high-tech est très importante. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut oublier l’aspect low-tech et med-tech. Les gros enjeux du med-tech, je travaille notamment sur cela, ce sont des sujets parallèles, c’est notamment les problèmatiques de supply chain qui précisément associées à la med-tech et qui sont essentiels à la réalité du marché. De la traçabilité pour le coup, la trade-tech, …
MB : Mais ça reste à l’état artisanal ?
PM : Je pense qu’il y a plusieurs choses et que c’est ce mix de tout, la question du high-tech s’adjoint auxs autres niveaux de technologies… Par exemple, un bijou que l’on peut le mettre dans l’imprimé, pas seulement le moule mais l’imprimer en 3D, même en 4D avec les formules évolutives etc. Donc il y a un mix de niveaux de différentes technologiques. Et par ailleurs, autre fait, les problématiques, sensorielles, de toucher, de savoir-faire, etc, deviennent encore plus importantes avec le digital, et c’est assez incontestable.
MB : Oui c’est un retour à une matérialité qui complète l’expérience.
PM : Oui c’est ça, je dirais une sensorialité matérielle. Qui complète l’expérience.
MB : Est-ce que s’oppose ou s’accorde, ou en tout cas comment on discute, cette fameuse notion de wearable et de saisonnalité. Parce que, dans la notion de portabilité il y a quelque chose qui jouerait avec l’idée du confort ou d’une capacité du vêtement à s’accorder à des intempéries, est-ce que elles ne sont pas finalement paradoxales par rapport à l’échelle du marché, ces notions ?
PM : Moi ce que je pense c’est que c’est très important le wearable. Mais tout l’enjeu, et ce n’est pas nécessairement compris dans la mode ou par les personnes qui s’en occupe… Ce qui n’est pas toujours compris, c’est que cela n’a de sens, hormis pour le vêtement technique ou le vêtement de sport, que si c’est dans une logique de mode. Sinon, ça ne marche pas. Comme le vêtement durable… Tout à l’heure je suis passé par hasard, dans un endroit que je connaissais à Saint-Honoré, il y avait un showroom d’une quinzaine de marques engagées différentes, parmi laquelle se trouvait la marque Veja. On voit bien que, et c’est très intéressant, qu’il y a chez eux une logique de mode. Une logique de mode ça veut dire une logique et émotionnelle et sensorielle, et sémiologique. C’est une logique pérenne. Sinon, ça ne marche pas. Et donc sauf sur les modèles à considération très technique, où les fonctionnalités sont comprimées. Sinon c’est anecdotique, soit c’est un gadget. Du coup ça n’a plus de rapport avec le vêtement, ni à la mode.
MB : Oui, cette thématique est intéressante, on se rend bien compte en faisant l’arborescence des sujets abordés que c’est finalement que l’on peut connecté la majorité des sujets qui intéressent la mode, pas qu’au contemporain. Mais effectivement, cette jonction entre saison et portabilité, saison et vintage même, c’est très intéressant je trouve. C’est passionnant dans la notion de patrimoine, mais pas que… C’est-à-dire c’est aussi dans la dimension de perspective créative. Si on regarde, il y a plein de designers qui ne se fournissent que dans le vintage, et qui finalement font avancer leur propre langage, en réhabilitant une saison, c’est à dire une époque, aussi …
PM : Le vintage, c’est aussi une manifestation de la post-modernité. Mais je trouve que ça va presque au delà aujourd’hui. C’est un aboutissement post-moderne, mais pas que… Il y a de la créativité dans le post-moderne, mais on voit bien qu’il y a une recherche de sens…
MB : De convoquer les références sémiologiques comme vous disiez. Ou sociologiques. Ça, on le voit très bien avec Demna Gsavalia chez Balenciaga. C’est-à-dire d’une manière d’aller chercher - on peut discuter de la justesse du style - mais une façon d’aller chercher des éléments sémantiques, et des signes aussi, qu’il réinjecte purement et simplement dans ses collections… Et cela a à avoir avec le vintage malgré tout… Alors pour terminer, sur le système de la mode, tenue par une fédération, et au regard d’autres fédérations : quels sont vos rapports ? Comment discutez vous entre vous et notamment de ces questions de calendrier ?
PM : Oui, bien sûr on se parle, c’est pour ça qu’on a monté ce forum. Nous, en tout cas, pour ce qui nous concerne, on se parle et on échange sur tous ces sujets et d’autres que nous avons évoqués dans cette interview. Ça peut être des problématiques aussi assez voisines, parce qu’on est plus ou moins similaire les uns et les autres. Avec le système français, vous avez une fédération du prêt-à-porter féminin, du prêt-à-porter masculin, de la couture mais c’est plus le prêt-à-porter féminin qui a l’approche mode. Il y a aussi les maisons ou marques, la fédération de la maille, celle du textile, etc. C’est un système de coordination et de jonction, avec différentes fédérations, celle des enseignes et distributeurs…
Pour les marques qui nous concernent, dans notre fédération sélective, ce sont les marques qui participent d’une manière ou d’une autre à la fashion week. Soit en défilant, soit en faisant une présentation. C’est-à-dire des marques du calendrier officiel. Et au fond on s’est dit à un moment, que l’on pourrait faire d’autres choses, que l’on pourrait aller plus loin. Or, on ne peut pas tout mélanger. Ensuite, la question est de savoir jusqu’où peuvent aller nos défilés en terme de calendrier. En somme ce qui rentrerait dans le calendrier ou pas, en terme d’activités et de représentation. Sachant que le calendrier ça peut être aussi bien des défilés que des présentations.
On s’intéresse à de nouvelles formes, parce qu’il y a toutes les nouvelles typologies, ça bouge beaucoup, ce qu’on appelle par exemple les « 4 S », « S » de Sport, la rue Street, de la musique Sound, et puis cinéma, Screen, l’émergence de nouvelles formes créatives. Mais je dirais que, ici en tout cas, nos membres sont des membres auxquels on prête une créativité particulière et qui s’expose sur la scène internationale par les moyens que nous avons évoqué. Au delà les enjeux de transformation et de business modèles. Il y a une concurrence, si on veut, enfin il y a une émulation. Mais quand on parle de la scène internationale, c’est là précisément que le regard international est fondamental. C’est là que la mondialisation est essentielle. Qu’elle est confortable, que cela à du sens, qu’elle est stimulante comme un positionnement, avec une visée, de l’espace, de l’oxygène, de la recherche.
Mathieu Buard, novembre 2017.
[1] N.A : il est intéressant aussi de noter que le « see now buy now » court-circuite aussi la notion d’acheteur, de merchandising, de retailler et des stratégies de diffusion du Prêt-à-porter de luxe ou de moyennes gammes. « Now » signifiant que ce qui est produit est anticipé et davantage marketing que créatif.
[2] N.A : une des idées des promoteurs et penseurs du « see now, buy now » était de proposer un temps de création différé de celui de la présentation et donc de concevoir une collection, de ne pas la présenter immédiatement, de passer en production des pièces et de gagner en réactivité post défilé pour un achat instantané en boutique. En ce sens, la collection était mise au « frigidaire » le temps de la production manufacturière et sortie du frigidaire lorsque les productions pour le retail étaient prêtes. Ce différé promouvant en ce sens le vêtement achetable au détriment du vêtement image du défilé.
[3] N.A : Ici, il faut entendre, les commandes comme des commandes notamment textiles et leurs quantités respectives, les pièces vestimentaires manufacturées, la répartition de ces commandes selon les zones d’achats, mondialisées…
[4] NA : Le Pitti Filati est un salon textile italien qui réunit les fournisseurs spécialisés notamment dans l’industrie du fil et de ses qualités (fibres et procédés de fabrication) et de l’industrie de la maille à proprement parler. Il se tient à Florence, en janvier de chaque année.